Alors que l’on se prend Corpse Museum en pleine poire, on se dit comme ça que Want va jouer la carte de l’agressif bizarroïde : ça ne va pas très vite mais c’est tout de même assez massif, ça beugle et ça sonne comme une rencontre entre Horseback et Suicide, les cris de l’un amalgamés aux marécages synthétiques de l’autre. Le titre grésille, empile des nappes graves, disloquées par le jeu d’une batterie tout en cymbales conquérantes. Ça avance, ça ralentit, ça s’arrête et ça reprend. « Never ending always ending floating away potent and dissolving » avance le duo et ça résume plutôt bien ce que l’on entend. Du métal glauque et indéfini à l’ossature de guingois. Mais voilà que le piano solennel de Apollo Beneath The Whip prend par surprise : envolé l’agressif, place au théâtral. En revanche, Wreck & Reference demeure singulier dans sa façon de mêler cri d’hyène en furie et voix claire et presque murmurée. À peine a-t-on le temps de s’acclimater que le titre s’enfuit. Stranger, Fill This Hole In Me joue quant à lui la carte de l’introspectif et se meut dans les eaux troubles d’un dark ambient inattendu. Et ce n’est là que le début de Want. On ne détaillera évidemment pas tous les titres mais sachez qu’au sein de l’album, on retrouve cahin-caha du spoken word, du drone, de l’industriel, du post-metal ou du noise-rock (entre autres) éparpillés un peu partout – échantillonnés voire – et recollés sans véritable logique si ce n’est celle de fouler aux pieds des territoires inhospitaliers et dérangeants. Tant de sons et d’influences disparates convergeant ensemble vers quelque chose de nouveau qu’il devient très vite inutile d’essayer de cerner le tout. Ce n’est pourtant pas du grand n’importe quoi, c’est même plutôt très bien construit et si Want désarçonne à prendre systématiquement le contre-pied de ce à quoi l’on s’attend, il reste en permanence cohérent. Sombre, venimeux et métamorphe, il dessine un labyrinthe oppressant qui emmène inexorablement à l’intérieur de soi. À suivre ses bifurcations, chausse-trapes et carrefours, on a souvent l’impression d’être complètement perdu même si la destination ne fait paradoxalement aucun doute : le Styx. Et même si le duo marche dans la fange, sa musique revêt une beauté certaine : A Tax, Machine Of Confusion, Apologies où les larmes synthétiques coulent d’yeux sidérés. Qu’ils soient remplis de colère ou de tristesse, nul ne sait et ça n’a de toute façon pas grande importance car ce que l’on retient surtout, c’est la puissance émotionnelle d’une musique impalpable qui glisse sous les doigts dès que l’on s’en saisit.
Les gemmes étaient déjà présents sur Youth mais ont depuis bien grandi. Loin d’avoir resserré le propos, Wreck & Reference a ouvert les fenêtres en grand et a fait rentrer l’immatérialité à grands flots dans son ossature pourtant déjà des plus fuyantes. Ce qui a changé, c’est que Want reste en permanence prenant quand le précédent suscitait parfois l’ennui. Aujourd’hui, même lors de ses passages les plus grandiloquents l’envie d’aller voir ailleurs ne montre jamais le bout de ses longs doigts gris. Ignat Frege (batterie disloquée) et Felix Skinner (Korg démoniaque et chant intransigeant) sculptent des totems informes voués à un culte qu’eux seuls connaissent. Point de guitare, pas de basse non plus mais pourtant un beau raffut inlassablement intrigant. Des moments de bravoure (A Glace Cage For An Animal, Flies) mêlés à d’autres un peu moins intenses mais tout aussi accaparants permettant de recouvrer son souffle (Convalescence où l’on croirait entendre le fantôme de Ian Curtis). Tout cela dessine un album difficile à circonscrire mais à la densité bien réelle où chaque accalmie met en exergue les bourrasques qui l’entourent, où chaque déflagration donne un éclat profond au calme que l’on finit par redouter tant on sent bien qu’il n’est que d’apparence. Expérimental dans ses intentions, mouvant dans ses arrangements, Want se montre tout aussi retors qu’accueillant. On aimerait parfois que ses râles se taisent pour laisser grandir les nappes solennelles mais pourtant, sans eux, les morceaux ne seraient pas tout à fait les mêmes et perdraient de leur singularité. À l’inverse, on se dit que le duo devrait montrer ses crocs plus franchement avant de se rendre compte que la sauvagerie habite même les moments les plus apaisés. Il devient alors évident qu’une certaine forme d’épaississement s’est emparé de la musique de Wreck & Reference et que l’on tient là ce qu’il a certainement fait de mieux. Sacrément mélancolique, voire d’une tristesse infinie, salement glauque mais parfois d’une beauté à couper le souffle, renfermant nombre de cris primaires qui recouvrent de leur glaire la moindre enluminure, Want habite l’entre-deux : dégueulasse mais d’une grande finesse, complètement métal mais plus sûrement encore exclusivement électronique, très aéré mais aussi renfrogné et replié sur lui-même en position fœtale, les paradoxes affluent à son écoute. On pourrait ne pas savoir qu’en penser or c’est l’inverse, l’adhésion est bien là.Parfaitement intégré au catalogue du toujours prolixe et passionnant Flenser Records, Want souffle le froid sur des lits de lave en fusion et renferme un cœur nucléaire cerné par la banquise. Nul doute qu’avec celui-ci, Wreck & Reference n’a jamais si bien porté son nom. À l’image du breuvage épais qui orne sa pochette – mi-sable, mi-liquide, sec et aqueux, un truc complètement repoussant mais que l’on a pourtant très envie de goûter – il ne tient qu’à vous de tenter l’expérience. Quelque chose d’inédit vous y attend.
Une émotion.
Fut-elle malaisée.
leoluce