Date : 05 février 2023 | Label : autoproduction
Encore une fois, plus que jamais, à la bourre. Aujourd’hui, on va parler d’une belle pièce qui date de février 2023 – autant dire la préhistoire pour notre ère pressée et précipitée – mais dont je n’ai pris connaissance qu’en mars, égarée parmi une pléthore de mails commerciaux et extirpée à la faveur d’un allégement drastique de boîte. Mais ça, on s’en fout, l’important, c’est Anthropophobie donc, dernier album en date de Vegg. Pas le premier d’ailleurs, quatre autres – tout aussi recommandables – ont déjà vu le jour depuis 2007 au rythme d’une sortie tous les trois/quatre ans. Une vraie constance donc. Chez Vegg, on ne se précipite jamais, j’imagine pour peser et soupeser, construire, accumuler, tailler dans la masse et finir par ne garder que le nerf.
Le nerf. C’est la grande histoire de Vegg. Tous les morceaux sonnent hyper secs, pas de fioritures, rien qui mérite d’être abandonné dans le lent développement de chacun. Idem pour les mots, expulsés ici pour la toute première fois en français. Des textes très resserrés, souvent parlés, parfois criés quand ça s’impose, au diapason de l’inquiétude et de la colère qui les portent. Ce sont là deux moteurs importants d’Anthropophobie qui sonne post-rock/hardcore avec de fréquentes saillies noise-rock parce que c’est comme ça que ça sort quand on parle pandémie et confinement, réseaux sociaux délétères, jeunesse désabusée ou « I can’t breath » par exemple. Pas de quoi se réjouir (on était prévenu par le titre) et pourtant, on reste bien accroché aux pièces amères de Vegg tout du long.
Tous nommés selon une date correspondant à l’évènement qu’ils relatent, les morceaux oscillent entre mer agitée et grosse tempête. Souvent, ils se contiennent et lâchent les coups avec nuance mais quand ça explose, ça explose vraiment. Il y a beaucoup d’équilibre là-derrière, un vrai savoir-faire qui permet à Vegg d’injecter mille détails dans ses instantanés : le carillon élégant des guitares qui ouvrent 19931222 | Paris Crack, la tension permanente de 20191116 | Alt Sciences, les cris habités de 20130213 | Seum Scolaire par exemple et cette façon de construire des morceaux très travaillés qui, paradoxalement, sonnent vifs et spontanés.
Ce qu’on sent surtout, c’est que le groupe est en permanence dans la justesse. Pas la moindre once de surenchère dans Anthropophobie. Ce n’est pas non plus une longue autoroute balisée mais plutôt un petit chemin chaotique sur lequel on navigue à vue, au gré des révoltes intimes des quatre Vegg qui, de leurs cerveaux, se transmettent à leurs doigts et résonnent à l’unisson des nôtres une fois expulsées des enceintes. De quoi en tout cas comprendre leur réinterprétation très maline (sur la très chouette pochette) de la plaque embarquée dans les sondes Pioneer depuis 1972 puisque le disque sonne vraiment comme un fragment d’humanité.
Petite merveille d’équilibre, il y a de quoi explorer longtemps dans les méandres denses d’Anthropophobie.
Bref, je lirai plus souvent mes mails désormais.
leoluce