Date de sortie : 14 janvier 2025 | Labels : WV Sorcerer Productions, Bagdaddy Records, Aktiver Aufstand In Plastik (Postfach 41, 09491 Marienberg, Germany), Araki Records, Day Off Records, Cruel Nature Records et Arsenic Solaris
Parterre rythmique fracassé, élan vertigineux qui lève le pied par à-coups, riff barbelé partout, les ondes basses qui tapissent tout ça d’un caoutchouc bien cramé, pas du tout uniforme, et la batterie qui griffe l’espace autant qu’elle le pulvérise. Pas d’introduction, immédiatement dans le rouge, un peu comme si le morceau avait commencé avant que l’enregistrement ne soit lancé. On le prend en plein poire.
Et ce larsen, là, qui se balade au-dessus du relief accidenté, à moins qu’il n’en soit l’ossature. On ne sait pas trop. D’ailleurs il se subdivise et s’inocule à la guitare qui donne l’impression de jouer à l’envers alors que tout le reste se lance en avant.
Parfois tout s’arrête pile au même moment. Et reprend derechef. Puis s’arrête à nouveau et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne subsiste qu’un fracas désarticulé qui freeture à qui mieux mieux avant de s’effriter dans le silence.
C’était VHS, premier morceau de Velours Dévorant, deuxième album de Toru. Une incroyable entame pour un disque exceptionnel. On retrouve tous les éléments de l’éponyme (2020) mais chacun semble exacerbé (Nicolas Brisset, Héloïse Francesconi et Arthur Arsenne manipulent la masse comme des sorciers). Le fracas est encore plus dense et entropique, le silence plus massif, les crocs ont gagné vingt centimètres et alors que le chaos est labyrinthique et abstrait, il n’a jamais sonné si vivant. On arrête d’ailleurs très vite de le détailler. Les motifs apparaissent puis disparaissent selon une logique dont on n’a pas le mode d’emploi et on est toujours pris par surprise.
On passe ainsi d’un morceau à l’autre sans s’en rendre compte vraiment et pourtant, chacun a une vraie unité. VHS, donc, et sa course fracassée (sidérant). Voiles comme l’inconstance du vent (très long, sidérant). Le très beau Volutes (sidérant). La sauvagerie de Vermeilles (sidérant). Et l’éponyme qui ferme la marche et joue pas mal avec le silence en y introduisant pas mal de stridences (très long aussi, sidérant toujours).
Tous racontent beaucoup en ne disant rien. Parce que c’est peut-être ça le grand truc de Toru : ça raconte des sensations, pas des histoires. On construit aisément des images derrière les yeux quand on écoute mais ce sont des gros plans, des textures, des bouts de formes, des élans qui apparaissent et s’évaporent systématiquement. Ça explore énormément, c’est très minéral, angulaire et pluriel mais c’est aussi très organique et vibrant. Ça plante des échardes de jazz dans son noise-rock, ça ménage des gouttes de drone dans son trash, post-hardcore et ambient ne sont jamais loin, le psychédélisme barbelé plus près encore. Et si ça expérimente à tout-va, c’est aussi très carré (voire virtuose).
Les trois Toru donnaient déjà l’impression de partager le même cerveau mais il semblerait que l’alchimie se soit propagée aux doigts et aux autres extrémités. Comme un même corps multiplié par trois. Pourtant, étant donné les courants contraires, les changements inopinés d’azimut qui jalonnent le flux tendu et les improvisations de Velours Dévorant (parfaitement captés par Nicolas Dick), il ne fait aucun doute que chacun garde son libre arbitre et arrive à exister dans l’enveloppe. Chez Toru, le collectif n’écrase pas l’individu et l’individu ne cherche pas à dissoudre le collectif. C’est dévorant peut-être mais ça reste du velours et la morsure est douce, nuancée bien que le trio montre un goût affirmé pour le contraste vorace et carnassier. Impossible d’en faire le tour mais comme ce n’est surtout pas ce que Toru recherche (et nous encore moins), la masse vibrante restera en permanence énigmatique et belle.
Grand !
leoluce