Quasi cinq mois ont passé depuis l’inauguration de 2018 et on va parler d’un disque qui a débarqué presque trois mois après celle de 2017, c’est dire si on est à la bourre. Mais bon, on est décidément très fâché avec le temps par ici. Alors voilà, on se ménage une petite enclave dans le sablier et on s’intéresse aux Visions de Térébenthine. Pourquoi en parler maintenant ? Parce qu’on s’en voulait pas mal de n’avoir rien dit sur celui-là alors qu’on l’a beaucoup écouté. Pourtant, au départ, on y était allé un peu à reculons. La formule duo où une guitare ferraille avec une batterie, on pensait en avoir fait un peu le tour. Des instrumentaux exécutés pied au plancher qui agrippent sur les premiers titres puis peinent à convaincre sur la longueur, on en a pas mal dans les étagères et on les ressort rarement. C’est toujours pareil et au final, on s’y ennuie pas mal. Mais pas ici. Pas avec Térébenthine. Ce qui déjà en soi pousse à en parler. Bien sûr, on trouve sur Visions son lot de morceaux frénétiques et véloces mais pas que et c’est bien tout ce qui fait la différence. On est même soufflé par la propension du duo à faire preuve d’autant d’imagination et de finesse alors qu’il n’a à sa disposition que deux instruments. C’est ample, c’est généreux, ça intègre une grosse vibration venue du blues alors que ça n’en est carrément pas et ça extirpe beaucoup d’émotions d’un environnement très restreint. Bref, on n’est jamais calé sur un seul chemin, une seule vision, on en explore plein d’où sans doute le pluriel du titre. Et puis, ce qui marque pas mal, c’est que le disque semble parler alors même que de mots, il n’y a point. Pourtant, c’est très narratif, ça raconte des histoires, ça fait naître des plans-séquences derrière les yeux sans être jamais clinique. Vibrants, distribuant leurs déferlantes avec parcimonie, se lançant dans des constructions mouvantes et toujours dynamiques, les morceaux défilent sans que l’on s’en rende bien compte et semblent n’en constituer qu’un seul, grouillant, vif, rempli de chausse-trapes et de bifurcations et on y reste accroché tout du long.
D’emblée, Au Nom Du Paère happe : ses arpèges élégants, sa répétition du même motif qui, sans en avoir l’air, rejoint le parterre et ses fractures incessantes qui subdivisent le morceau et le subdivisent encore tout le temps de ses presque huit minutes. Le duo pouvait jouer la carte de l’acclimatation en balançant quelque chose de plus concis en ouverture mais ce n’est pas le genre de la maison ça. Térébenthine préfère annoncer la couleur immédiatement : il tordra l’ossature dans tous les sens, étirera certaines zones de sa surface jusqu’à la presque rupture, en froissera d’autres ou les superposera pour agir sur l’épaisseur de l’ensemble selon un schéma totalement imprévisible pour les paires d’oreilles qui réceptionnent le pliage final. Les suivants, plus ou moins longs, conserveront les mêmes intentions dialogiques et inspirées. Multipliant les azimuts, les Visions, le duo disloque ses morceaux, se lance dans des constructions déstructurées voire alambiquées sans jamais noyer ses émotions (le phénoménal Un Jour Encore), frôle (et même plus, foule aux pieds) un psychédélisme sombre et inattendu (Goutte D’Eau avec ses cris brefs dans l’arrière-plan), se lance dans une course zigzagante et varie sa vitesse tout en allant droit au but (Phil Jackson) et finit les yeux au bord des larmes (Mer Noire) puis fait mine de s’évaporer avant de balancer un ultime mouvement fracassé que seul(e)s les propriétaires du CD pourront entendre après de longues minutes de silence. Tendu en permanence et montrant une précision d’orfèvre ou d’horloger suisse c’est selon, Térébenthine est tout à la fois sensible et virulent, capable d’adapter ses mouvements (lents/rapides, lourds/beaucoup moins lourds, violents/frénétiques/apaisés) pour qu’ils coïncident pile-poil aux images mentales qu’il a en tête (comme le suggère la pochette, on a vraiment l’impression que ces deux-là partagent la même boîte crânienne et quand ils jouent, qu’ils sont bien plus nombreux) afin de les transmettre parfaitement. D’autant plus que l’on trouve Benoît Courribet (from Xnoybis) aux manettes ce qui permet de maintenir leur clarté intacte.
Bref, c’est vrai qu’on est (très) en retard mais peu importe : si ce n’est déjà fait, ruez-vous sur Visions puis laissez-vous porter, simplement porter. Laisser cette eau vive s’insinuer en vous. Térébenthine s’occupera du reste en vous enfermant dans ses filets. Et ce, pour un bon bout de temps.
Grand.
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