Date de sortie : 04 octobre 2024 | Labels : Araki Records, Day Off Records, Do It Youssef !, Muzzote, Nunc. Records, Poutrage Records
Sommeil De Brute ? Pas exactement ce que provoque ce premier album. À l’écoute du couple guitare/batterie, comment pourrait-on fermer les yeux ? Et si jamais les yeux se ferment, c’est sans doute pour briser la vue et laisser l’ouïe détailler l’écoute.
IS An Alternating Current ? C’est déjà plus représentatif.
Jean-Christophe Urbain laisse aller sa guitare et Nicolas Brisset, sa batterie ; ils se connaissent depuis longtemps, ont joué dans ISaAC dont ils ne gardent que l’os. Enfin, ça serait néanmoins très réducteur d’affirmer que l’on entend ici du ISaAC dégraissé et sans basse parce que c’est bien plus compliqué que ça : bien sûr, on retrouve l’envie de laisser les structures se déployer dans le temps et l’espace mais avec Sommeil De Brute, on sent aussi la volonté de ne rien s’interdire (ce que permet une configuration à deux). La guitare par exemple touche tout autant au drone qu’au monologue fracassé, montre souvent les crocs mais explore également l’errance quand la batterie est invariablement tribale et répétitive en surface alors qu’en vrai, elle multiplie les azimuts, les rajouts et les amputations.
Du coup, IS An Alternating Current est tout à la fois complètement rectiligne et systématiquement changeant. Les morceaux mutent entre eux mais aussi à l’intérieur d’eux, ils commencent comme ils ne finissent jamais et si l’on retrouve quelques traits principaux – le côté hypnotique, exploratoire et tribal, très kosmische – on est aussi toujours surpris et on ressent beaucoup.
C’est spontané, ça donne l’impression d’être sans queue ni tête mais c’est aussi très construit et en permanence sidérant. Un peu à l’image des chiffres romains qui nomment chaque morceau, ils n’ont pas vraiment de sens pour nous (ou en ont plusieurs. Comment lire IXXIVIIMMXX par exemple ? 1.21/7/2020 ? Date de naissance du premier morceau ?) mais on voit bien qu’il y a une vraie logique derrière. Comme la musique. On n’y comprend pas grand-chose, mais pourtant, tout s’y montre parfaitement pesé, soupesé, agencé bien qu’à chaque fois, la spontanéité l’emporte.
Sans doute parce que ces deux-là se connaissent par cœur et donnent plus d’une fois l’impression de partager le même cerveau : ils se laissent aller certes mais ce qui est très fort, c’est qu’ils y vont systématiquement à deux et sans faire n’importe quoi. Et font jeu égal. Tout se passe comme si on voyait leur inconscient prendre corps, là, derrière les yeux.
Sommeil De Brute montre ainsi un sens aigu et permanent du groove élastique extrêmement rêche et tendu, volontiers ténébreux, amenant vers une forme de transe froide et ferreuse dans laquelle, pourtant, il fait bon s’emmitoufler. On ne va pas détailler chaque pièce mais on aura compris que tout y est mouvant. Il me semble même que la forme que chacune revêt ici pourrait continuer à muter et si le disque sortait dans quelques mois, les morceaux ne seraient alors plus complètement les mêmes (et il y a fort à parier qu’en concert, ils se montreront encore différents). IS An Alternating Current, c’est comme un torrent de lave : le dessus peut être refroidi et dur mais on sait bien qu’en-dessous, c’est encore brûlant et visqueux. En cela, on rapprochera l’entité remoise d’autres destructurateurs d’hypnose comme Mange Ferraille, Toru (forcément) ou Chausse Trappe par exemple mais en se disant bien que le duo fraie plus ou moins dans le même sillon tout en traçant tout seul le sien.
Inutile d’en dire plus quand ça échappe aux mots. La seule chose que je sais, c’est qu’une écoute suffit à embrigader les neurones et que toutes les suivantes tentent de mettre tout ça en ordre. En pure perte.
Alors au bout d’un moment, on arrête d’essayer d’analyser pour écouter vraiment et alors, ça devient beau. C’est vrai, Sommeil De Brute n’a rien de confortable – le très beau cyanotype de la pochette gatefold (Matthieu Pellerin du Seul Elément, Oï Boys ou Loth entre autres), les titres cryptiques, les morceaux mouvants – mais qu’est-ce qu’on s’y sent bien.
Chapeau bas.
leoluce