Date de sortie : 04 mars 2022 | Labels : God Unknown Records
Sneers. quater et toujours pas d’affadissement. C’est même tout le contraire : le duo appuie de plus en plus sur ses traits saillants et poursuit sa lente mue. En premier lieu, ce qui frappe, c’est évidemment la voix de pythie hallucinée qui ne devrait laisser personne indifférent. C’est théâtral, outré, tout tremblant et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça habite les morceaux. Un parti pris étrange et courageux à l’œuvre depuis le précédent – Heaven Will Rescue Us, We’re The Scum, We’re In The Sun (2018) – et largement développé ici. Me concernant, j’ai parfois regretté le chant des premiers Sneers., toujours hanté et habité mais (relativement) plus simple ou en tout cas, plus enfoui et il m’a fallu du temps pour adhérer à cette nouvelle proposition. Mais voilà, tout derrière, il y a encore la noirceur de jais des morceaux qui, elle, n’a cessé de m’emprisonner. Et à bien y regarder, M.G. Blaankart a toujours chanté ainsi, la proposition n’est donc pas si nouvelle mais sur Tales For Violent Days, elle atteint son épiphanie, tout comme la musique qui la porte. Et si j’ai eu du mal au début, je suis aujourd’hui totalement convaincu : comme un poison lent, Sneers. coule dans mes veines et j’ai bien du mal à trouver plus noir et plus beau que ces neuf occurrences. Du côté des arrangements, c’est un enchantement et force est de constater que ce chant si étrange apporte beaucoup à l’ossature à tel point qu’il est difficile d’envisager les uns sans l’autre.
Tales For Violent Days porte bien son nom : le rose n’est présent que sur le pourtour de la pochette et à l’intérieur, c’est sombre, douloureux, mordant. Les flammes du précédent ont sans doute laissé la place à un sol rocailleux mais qu’on ne s’y trompe pas, ça brûle encore. Certes, la combustion est lente et la morsure du feu lèche les plaies en refroidissant tout mais évidemment, on continue à ressentir beaucoup.
Le grand truc du duo, c’est qu’il ne fait jamais semblant : la vision désespérée est bien réelle, les mots font mal, manipulent des concepts qui ne sont aucunement des façades et la musique n’est jamais feinte. Elle mêle une espèce de kraut gothique aux psalmodies de sorcière, parfois une certaine raideur post-punk pointe et rappelle que le duo a longtemps été basé à Berlin (avant de rejoindre Rome) bien qu’on a souvent l’impression d’entendre le son de la brume et des marais, c’est un étrange mélange qui donne aux enluminures de Sneers. des airs de sabbat. Néanmoins, les idoles qu’ils célèbrent ne sont pas vraiment métaphysiques, elles proviennent plutôt de la machinerie interne et tout autour. Le duo ausculte avant tout l’être humain et son mouvement est ainsi très contemporain.
Les morceaux se succèdent lentement, n’en font jamais trop et tissent un tissu hirsute. La guitare griffe, balance des carillons morbides ou des ondes, les percussions impulsent un rythme tribal qui, parfois, disparaît et les claviers freeturent quand ils ne crachent pas leurs nappes froides, les discrètes touches de piano précipitent le tout dans l’étrange. Ce n’est jamais un long fleuve tranquille et c’est très habité : les sept magnifiques minutes de Lies For Young Men sans doute en point d’orgue mais il ne faut surtout pas négliger tout le reste. Du très déstructuré As Old As The Gulf War au très prenant et mouvant A Fate Worse Than Death en passant par les plus typés ’90s Ode To The Past et I Will Feel You, pas une minute sans qu’une nuée de bombyx ne grignote les entrailles en électrisant l’épiderme, rappelant si besoin était que Sneers. a plus d’une corde à son arc et sait varier ses prières étranges et hypnotiques sans les diluer.
Alors bien sûr, tout ça, ce ne sont que des mots qui ne traduisent pas l’autre grand truc à l’œuvre ici : l’impalpable. Cette matière que manipulent M.G. Blaankart et Leonardo Oreste Stefenelli (avec le renfort de Freddie Murphy à la trompette et aux chœurs) échappe à la description et c’est toujours peine perdue de tenter de la circonscrire.
(leoluce)