Shit And Shine – Rum And Coke

Date de sortie : 31 mai 2024 | Label : Riot Season Records

Évidemment, de prime abord, avant d’avoir écouté quoi que ce soit, les yeux convoquent Neu ! mais bon, on connait Shit And Shine et son ironie acide. On ne s’attend pas forcément à un hommage mais comme on sait qu’avec Craig Clouse, on peut à peu près s’attendre à tout, pourquoi pas ? Néanmoins, c’est bien « Shit ! » que l’on lit sur la pochette. Et comme c’est Callum Howe de The Shits qui tient le micro, on se dit que tout s’explique probablement et qu’il faut donc s’attendre à un truc qu’on n’attend de toute façon pas. Il a toujours été difficile d’extraire la moindre ligne directrice de tout ce qu’a pu sortir l’entité expérimentale et corrosive jusqu’ici : elle a à peu près touché à tout (grind, jazz, sludge, doom, électronica, breakcore, trance motorik, dub, freeture&psychédélisme et j’en passe) et pour celui-ci, elle continue à le faire. Alors bon, on dirait les délires synthétiques de Phase Corrected (2022) joués avec les armes de Goat Yelling Like A Man (2020, pour rester chez Riot Season). En gros, Shit And Shine ressort les guitares et fracasse le sludge, le doom ou le noise-rock et ça donne un truc déviant et perverti, jamais clair, franchement tangentiel, très très très fangeux et qui, évidemment, ne respecte pas du tout les tables de la Loi ou les règles du bon goût (si jamais elles existent).

Même si l’éponyme qui ouvre le disque va plutôt taper du côté d’AC/DC sur ses premières secondes, tout de suite, on se retrouve les pieds dans la boue et on va s’y rouler dedans jusqu’au bout. Ce premier titre présente les ingrédients : Howe s’époumone « Give me a fucking drink ! » en titubant, la batterie reste martiale (toujours He Who Will Remain a Mystery) et la guitare construit son mur de parpaings mal alignés. Par dessus, des samples et des glitchs, des manipulations diverses et variées pour finir de calciner les rares repères.
Les hostilités sont lancées, elles vont durer trente-huit minutes et ça restera distordu, toxique et de guingois tout du long. Et surtout, inexplicablement magnétique. Une constante avec Shit And Shine : c’est irradié, sans structure, mouvant et dégueulasse mais ça agrippe les neurones. C’est complètement jusqu’au-boutiste mais c’est aussi absolu et poétique. Même s’ils n’arrêtent pas de tricher, Craig Clouse et ses sbires ne trichent en fait jamais et, pour ma part, il ne faut pas chercher plus loin l’explication de mon adhésion sans réserve à tout ce qu’expérimente, triture, explose ou malaxe Shit And Shine. Toutefois, on ne va pas se mentir, puisqu’il est prolifique, le très prenant (au hasard, Doing Drugs, Selling Drugs) côtoie le plus agaçant (au hasard encore, Some People Really Know How To Live) dans la très riche discographie du projet. Rum And Coke se situe, de mon point de vue, dans le haut du panier. On y croise des trucs dantesques, des choses plus ratiboisées mais pas moins sidérantes, des ersatz qui ne ressemblent à rien mais provoquent beaucoup.

Sur Rum And Coke, on entend donc du Melvins aquatique (One Drag), du David Yow bourré coincé dans le tambour de l’essoreuse (Shit!), du drone très très fracassé et très très désespéré (Stolen), du Shit And Shine pur jus, c’est-à-dire mystique et désaxé (Chicken Of The Sea), du Shit And Shine pur jus encore, c’est-à-dire très agressif et perturbé (Sparkling Water), du Shit And Shine pur jus enfin, c’est-à-dire égal à lui même (sur tous les titres en fait). Bref, un album dans l’exacte (non) lignée de tous les précédents, accidenté et chaotique, incompréhensible, retors mais très attirant. La distorsion y est poussée à son paroxysme (Lawnmont ou Airplane Toilet), les ossatures s’y montrent laminées (l’ultime – qui ne pouvait être qu’ultime – 5 Amazing Brunch Spots), la sécheresse y frappe comme un coup de trique, la liberté s’y épanche sans contraintes et ça remplit des vides dont on n’avait jamais deviné qu’ils devaient être remplis, les précédents albums donnant l’impression d’avoir déjà bien saturé l’espace.
Quoi qu’il en soit, Rum And Coke porte bien son nom et faites confiance à Shit And Shine pour agrémenté le mélange déjà bien dégueulasse de quelques mégots et d’une bonne dose de boue. Cheers !

leoluce

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