Toujours à courir derrière le temps, on regroupe les chroniques et pour tenter de résister aux degrés bientôt excédentaires, on s’envoie une bonne rasade de post-punk. Les trois disques qui suivent s’arriment sur plusieurs versants de la vaste nébuleuse. On y croise pas mal de cold wave, du goth, un soupçon de synthwave et des poussière d’EBM sur fond de basses maousses, de claviers réfrigérés et de guitares ténues faisant le grand écart entre hier et aujourd’hui.
Second Still – Equals EP
– 20 avril 2018, Weyrd Son Records –
Avec Equals EP, Second Still, trio angeleno déjà auteur d’un album éponyme en 2017, convoque Siouxsie & The Banshees (flagrant sur Opening) en lui adjoignant une grosse vibration synthétique extrêmement froide. Toutefois, leur musique pourrait aisément s’en passer car ce que l’on remarque de prime abord, c’est la basse. Évidemment arachnéenne, elle ressuscite des lignes vraiment moribondes qui suffisent à porter cette collection de morceaux hantés et enveloppants. La guitare ne fait pourtant pas de la figuration, élégante et plus lointaine, ses interventions sont toujours déterminantes et habillent joliment les enluminures noires et glacées qu’elle contribue à façonner. Avec trois fois rien, Second Still exprime beaucoup et de fait, on a parfois l’impression que la chanteuse et les claviers en font inutilement trop. Très en avant, la voix occupe tout l’espace et il lui arrive d’asséner là où l’on préfèrerait la voir simplement suggérer (Altar). De la même façon, quelques nappes trop appuyées arrondissent des angles que l’on aimerait plus saillants. Le trio gagnerait peut-être encore en finesse en planquant tout cela plus profondément dans le mix. Mais on chipote. Dans l’ensemble, tout cela se montre bien équilibré et Second Still commet un EP que l’on écoute avec beaucoup de plaisir, s’appuyant sur une poignée de titres particulièrement bien sentis : In Order, Automata ou encore Opening (voire le morceau supplémentaire et sans nom qui vient clore le disque) remodèlent clairement l’espace de réception en recouvrant les murs de givre et en tamisant instantanément les lumières. Un comble pour un groupe venant de Californie.
Lebanon Hanover – Let Them Be Alien
– 03 avril 2018, Fabrika Records –
On s’enfonce un peu plus dans la pénombre et le froid avec le très congelé Let Them Be Alien de Lebanon Hanover, duo basé en Allemagne à la fière devise («Nostalgia is negation, sadness is rebellion»). Au programme, dix titres chantés en anglais ou en allemand, d’une voix tantôt masculine (William Maybelline) et extrêmement grave, tantôt féminine (Larissa Iceglass), grave elle aussi mais quand même un peu moins. On est happé par le disque qui relocalise immédiatement les neurones dans les ’80s tendance corbak en s’appuyant sur des claviers à l’air systématiquement vertical, une basse fortement crépusculaire et une guitare souvent contrite. Sec, parfois nerveux, le plus souvent exténué, toujours affligé, le post-punk aux fortes accointances gothiques de Lebanon Hanover semble être un peu plus qu’un simple exercice de style : il ne singe pas, il est et de fait, comme il y croit (le duo a choisi une corde de pendu comme logo, ce genre), on y croit aussi. Alors bien sûr, on n’est pas toujours convaincu par les interventions du saxophone, on relève aussi quelques nappes suspectes et légèrement cheap (Kiss Me Until My Lips Fall Off), des rythmiques en plastique vraiment très raides (Du Scrollst) et un goût très prononcé pour le mélodrame mais quand même, dans l’ensemble, c’est vraiment bien foutu et finalement assez prenant. Les voix traînent leur spleen désabusé sur des motifs simples mais ciselés qui se répètent juste ce qu’il faut pour devenir hypnotiques et le duo n’hésite pas à faire varier la formule, abandonnant parfois sa scansion patraque (True Romantics) ou frôlant l’EBM (Ebenholz) voire jouant son va-tout sur des nappes vraiment grandiloquentes (Petals). Le moins que l’on puisse dire, c’est que Lebanon Hanover maîtrise son sujet (le groupe a déjà quelques albums à son actif) et sait comment s’y prendre pour rendre palpable le froid qui cerne sa musique.
Le Futur Facile – s/t
– 30 août 2017, autoproduction –
On reste toujours dans le post-punk mais dans son versant plus plombé et vindicatif avec le premier EP des Rémois du FUTUR Facile qui n’a de facile que son épithète. Six titres seulement se déplaçant sur un segment temporel et esthétique qui relierait (pour faire vite) End Of Data à Ventre De Biche. Une basse, des synthé, des drum machines, des voix et beaucoup de delay pour recouvrir le tout. D’emblée, on est pris par les nappes Terminator du premier titre-manifeste qui circonscrit immédiatement la musique du duo. Pour la gaudriole, c’est ailleurs que ça se passe. Ici, alors même que le morceau se nomme Amour, c’est surtout le mot «violence» que l’on met en avant, lancé d’une voix sèche et délavée qui s’accorde bien à l’ossature émaciée et strictement synthétique. Le suivant ne se montre pas plus accorte et met en avant un climat particulièrement poisseux qui suinte le repli sur soi et l’enfermement mental. Il s’appelle J’ai peur et c’est vraiment bien trouvé. Tendus, anxieux et transcrivant efficacement ce qu’ils veulent faire passer, les morceaux collent parfaitement à leur titre (Insomnie, chouette divagation stressée, l’éponyme qui permet de mettre en exergue toute l’ironie du duo et ainsi de suite) et bien qu’ils proviennent de la même argile tourmentée, les Rémois réussissent néanmoins à en varier le grain et l’épaisseur : Dein Hund et J’ai Tué Ton Chien en fin d’EP posent ainsi le pied sur des terres plus noise qu’à l’accoutumée mais toujours évidemment décharnées. En outre, le delay partout permet d’agir sur l’intensité en dessinant des lignes de crête finalement plus contrastées qu’on ne l’avait perçu au départ. Bref, cet EP inaugural se montre franchement prometteur et place le FUTUR Facile dans l’empan des groupes que l’on aura grand plaisir à surveiller. Vite, la suite.