Sur ce nouveau chef-d’œuvre onirique et déstructuré qui nous aura demandé plus d’écoutes que son prédécesseur, la géniale taïwanaise, tête de pont du label anglais Chinabot dédié aux musiques électroniques venues d’Asie, évoque plus que jamais l’angoisse d’une société technologique où l’on se prend à questionner la notion même de réalité, alors que les smartphones et autres « connexions » virtuelles en viennent à prendre dans notre fonctionnement quotidien une place qui phagocyte l’échange émotionnel entre les êtres au lieu de l’amplifier.
Lorsque Sabiwa, qui joue comme pour symboliquement s’isoler du public avec un iPhone plaqué sur le visage dont les vidéos répondent aux projections scéniques, use de sa voix à de rares occasions sur ce second long-format, c’est pour exorciser sa perte de repère et la tristesse d’être ignorée (« you never see me », sur la douce introduction à la kalimba Sailor Girl). Mais peu à peu, le glitch s’empare des mélodies, le cut-ut digital de field recordings malaisants entre dans la partie et le chant se « cybernétise » (There is nothing real, où la Björk introspective de Vespertine rencontre le Brainfeeder des débuts) avant de laisser place à un univers instrumental de plus en plus ardu et concassé, qui tranche avec les setlists scéniques plutôt équilibrées de la Berlinoise d’adoption qui savent alterner influences trip-hop des premières mixtapes, post-techno éclatée et respirations hors du temps.
Ainsi, si le Squarepusher-ien Desert Walker laisse encore entrevoir un soupçon de candeur cristalline, l’anxiété plane et les morceaux se raccourcissent ensuite pour mieux balloter l’auditeur au gré de leurs hallucinations claustrophobes et hantées. Ça commence avec la comptine disloquée Kill your favourite toy puis vient la mystique destructive d’un Enigma plus industriel qu’à l’accoutumée… la musicienne alterne cocons neurasthéniques assaillis de blips, beats et autres onomatopées désorganisés (Roots, Crab people) et hédonisme décadent aux itérations lancinantes (My doom lady, ou le sommet Daba), comme si elle trouvait réconfort dans le repli sur soi mais seulement chaos et tension dans le cirque digital névrosé de ces réseaux censés nous apaiser l’esprit.
Faussement dispersé, DaBa dévoile au fil des écoutes une cohérence qui va bien au-delà de l’enchaînement de certains morceaux et qui se joue des sonorités hétéroclites pour toucher à quelque chose de plus métaphysique, un état d’être dont la schizophrénie traduit le malaise d’une époque. Grand disque.