De prime abord, Silence Is Violence, premier album de Radical Kitten, laisse un peu perplexe : il y a un certain monolithisme à l’œuvre là-derrière qui fait qu’au début tout s’y ressemble. Les voix crachent leur mots avec rage (Marin et Iso), la guitare capitalise sur les aigus et aime les lignes de crête (Iso), la basse caoutchoute les angles (Marin) et la batterie accompagne le tout d’un tchak-poum rageur et métronomique (Marion). C’est chouette mais ça n’est pas non plus follement original et on se dit que ça va vite s’épuiser.
Bien sûr, une fois n’est pas coutume, on se plante complètement.
D’une part, la supposée originalité ou son absence n’ont que peu à voir avec le fait qu’un disque touche ou ne touche pas celui.elle qui le réceptionne (en outre, l’ensemble est tellement personnel que ce procès-là n’a réellement pas lieu d’être). D’autre part, le côté morceaux photocopiés n’existe pas vraiment et seule une première écoute distraite explique le fourvoiement de mon encéphale. La coloration générale a certes des allures de monochrome mais Radical Kitten maîtrise la nuance et met sur pied douze petits monstres effrontés qui égratignent tout ce qui bouge et le font avec pas mal d’inventivité. Enfin, le tout s’accompagne d’un discours tout à la fois militant et introspectif qui aurait pu prendre toute la place, ce qu’il ne fait pas. Si le trio soigne ses mots, il soigne aussi tout le reste et cela fait de Silence Is Violence une réussite à tous les niveaux.
L’album file vite et enchaîne tout ce que lui permet sa configuration à trois : des embardées punk très directes (Wrong !), d’autres plus post que punk où ça louvoie pas mal (Sorry) et quelques-unes tangentiellement déstructurées et no wave (I Can’t Deal). On ne voyait au départ qu’une morne plaine, c’est au contraire très cabossé et Radical Kitten se montre aussi à l’aise dans le frontal que le larvé. Généralement, tout est dit en moins de trois minutes et lorsque le morceau atteint les quatre, ce n’est jamais par goût pour la fioriture mais parce qu’il fallait aller jusqu’au bout des idées qui l’ont vu naître ou parce que l’allongement du temps sert celui d’après : la basse qui s’emberlificote autour de la guitare disloquée avant que chacune ne trace sa route sur Blind amène doucement aux destructurations d’un I Can’t Deal plus ramassé. Il y a beaucoup d’intelligence là-dedans et comme ça n’entame jamais le côté très spontané de Silence Is Violence, l’album est tout à la fois frais et recherché.
De l’enchevêtrement des voix aux itinéraires toujours prenants de la guitare, du bong bong sautillant de la basse qui peut devenir moribonde l’instant d’après aux incisions de la batterie, tout concoure au modelage d’un climat tant insurrectionnel qu’intérieur qui coïncide parfaitement avec les slogans qu’il renferme : « I will laugh on your grave« .
Radical Kitten joue exactement ce qu’il est et est exactement ce qu’il joue. Son punk n’appartient qu’à lui et n’est pas une façade. S’il inonde sa musique, c’est bien parce que le trio a des choses à transmettre et à expulser. Son militantisme féministe et queer modèle ses morceaux qui le modèlent à leur tour et au bout du bout, la nuance et la complexité apparaissent. C’est bien ce qui fait que les paroles justement ne peuvent se résumer qu’à quelques slogans et que sa musique ne peut se résumer qu’à une simple ligne droite furibarde. Au contraire, Silence Is Violence montre une vraie densité qui laisse présager beaucoup pour la suite.
Mais on n’en est pas encore là. Pour l’heure, il y a cet excellent premier album (à la décidément saisissante pochette) qui touche infiniment.