Un pas de côté aujourd’hui, on sort légèrement du noir pour frôler la lumière et on s’agrafe aux rythmes noueux du premier album de Pixvae. D’un côté, Kouma et son jazz plombé, de l’autre, Nilamayé et son currulao azuré. Au centre, donc, Pixvae, l’exacte rencontre des deux qui sonne curieusement. Le noise-rock cingle entre les îlots du Pacifique sud, le marimba s’invite à Chicago et le jazz Brötzmannien entame un pas de danse que l’on suit immédiatement. Polyrythmique et singulier, Pixvae se dote d’un groove nucléaire devant lequel on ne peut lutter. Parfaitement ciselé, presque chirurgical mais aussi très vivant, le parterre rythmique constitue un substrat grouillant d’où naissent de curieux arbustes électriques et irradiants. Mélangeant voix ensoleillées et saxophone furibard, folklore plusieurs fois centenaire et exaspération très contemporaine, la danse se transforme d’abord en pugilat puis se meut vite en accolade. Le mélange et l’ouverture vers l’autre tricotent – une foi n’est pas coutume, en particulier lorsqu’on songe à uKanDanZ – un langage inédit. Et surtout jubilatoire. N’allez pourtant pas croire que tout ici est ripoliné aux sentiments positifs, on trouve souvent au détour d’un refrain ou d’une bifurcation rythmique une vraie mélancolie (El Curruco) ou de la colère parfois aussi (La Plegaria). Loin de se cantonner aux couleurs primaires, Pixvae s’intéresse plutôt aux multiples nuances qui les lient les unes aux autres. Dans ces conditions, la musique n’est pas le fruit d’une simple formule ou d’un dispositif mais découle d’un véritable échange où chacun trouve dans l’autre de quoi se réinventer. Elle a du fond, elle a du coffre et de la densité.
Tout cela saute au visage dès La Fuga introductive : tapis percussif enchevêtré, baryton et claviers conquérants, guitare tricotée et, déjà, les voix d’Alejandra Charry et Margaux Delatour, chevillées l’une à l’autre, parfois bien devant, parfois dans les limbes mais toujours dans l’empan du morceau. Les circonvolutions des unes avec les autres se montrent salement hypnotiques, tournicotant sans cesse et traçant dans l’espace des trajectoires tour à tour circulaires et disloquées. Très dansante mais aussi très cérébrale, encore plus spontanée tout en étant toujours mûrement architecturée, la musique de Pixvae est tout à la fois plombée et aérienne. Son ossature fuselée lui permet de faire son trou dans la boîte crânienne et d’imprimer dans les neurones des rythmes et des mélodies plutôt inhabituelles pour qui n’a pas la moindre connaissance des folklores pacifiques (ce qui est mon cas). De la même façon, on imagine qu’en passant par ce disque les initiés au currulao s’ouvriront à quelques sonorités nouvelles empruntées au noise-rock ou au jazzcore. Comme chez uKanDanZ, ce qui frappe ici c’est que la collision des cultures n’entraîne pas l’affadissement : on entend bien du currulao, du jazz et de la noise, pas un ersatz ni une version simplifiée. Este Nino Quiere / Monte En El Reloj, Garcita Morena et El Nazareno, chansons traditionnelles colombiennes, sont ainsi immédiatement reconnaissables mais aussi complètement reconfigurées. La palme à El Nazareno qui, chez Pixvae, revêt des frusques presque doom qui entraînent le morceau plus bas que terre en gardant pourtant tous ses atours addictifs. Enterré vivant peut-être mais avec le sourire aux lèvres.
Passeurs infatigables, amoureux de musique, expérimentateur au long cours, Romain Dugelay et par extension le Grolektif et Kouma – en plus du saxophone baryton, la guitare de Damien Cluzel et les baguettes de Léo Dumont – poursuivent leur passionnante trajectoire. Polymorphie pour les trois, uKanDanz pour Damien Cluzel, PQA ou Tût pour Léo Dumont et aujourd’hui Pixvae entre autres projets aux ramifications multiples, amenant toujours à de belles rencontres musicales – ici, Jaime Salazar, musicien anthropologue et dans son sillon, Nilamayé. Le jazz dans ce qu’il a de plus expérimental et de plus magnétique, la «world music» sans les discours écœurants, c’est bien tout ce qui fait de Pixvae une entité vibrante et irradiante aux racines nouées.
Pour un premier disque, chapeau bas.
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