Après la sortie du très chouette The Only House In Town de Dustbreeders il y a quelques mois, voici venu le nouveau Mesa Of The Lost Women. Yves Botz prête ses sons fracassés aux deux formations messines pareillement attirées par la gangue bruitiste qu’elles travaillent néanmoins différemment. Ici, une seule guitare – qui compte double, triple, quadruple et aime se grimer en scie circulaire, ébarbeuse ou autre – accompagnée d’une batterie féline (Christophe Sorro) et de borborygmes primitifs (Florian Schall sur ce disque et Yves Botz aussi). Les Tables Noires sont imposantes, accidentées et âpres. Elles dissimulent un vent mauvais chargé de stridences abruptes, de cris bestiaux et campent un paysage disloqué mais étrangement profond. Chez Mesa Of The Lost Women, le bruit à des trucs à dire et le dit très bien, avec une forme de poésie revêche qui peut se montrer étonnamment gracieuse à certains moments. Comment expliquer sinon que les nuées d’ondes malaisées martelées de battements sauvages puissent attirer autant ? Que l’envie de coller l’oreille contre la mousse des enceintes pour finir d’atomiser les tympans à l’abrasif psychopathe traverse plus d’une fois l’esprit ?
Plus policées – enfin, ce n’est certainement pas le bon mot – qu’I Remember How Free We Were (2011) qui consistait en deux enregistrements live très rudimentaires (car repiqués de captations vidéo) du duo, alors accompagné de Junko sur la face B (séparée de deux années de la A), Les Tables Noires n’en restent pas moins abrasives.
Évidemment, ce n’est pas du live et donc, fatalement, le son y est plus détaillé. Les morceaux ont également gagné en concision et de prime abord, l’ensemble sonne donc inévitablement plus aéré et domestiqué. Ce n’est qu’un leurre. La déstructuration systématique et l’improvisation permanente restent les maîtres mots de Mesa Of The Lost Women, ondes barbelées, cris primitifs et ossature imprévisible y sont toujours de mise et l’ensemble demeure très chaotique. Néanmoins, malgré tout ça, Les Tables Noires ont un je-ne-sais-quoi d’accueillant dans lequel il fait bon s’enrouler.
Pourtant, objectivement, rien pour arrondir les angles ou museler le chaos : on ne sait jamais ce que les tables réservent, les strates de bruits sont dotées d’une vie propre et, dans le trio, personne ne leur impose quoi que ce soit. Elles naissent, vont où bon leur semble et disparaissent quand d’autres strates prennent leur place. Les pièces fondent les unes dans les autres pour n’en former qu’une seule, très insaisissable et métamorphe.
Au bout d’un moment, pourtant, on se surprend à contempler les monstres hirsutes et ce qui, au départ, pouvait paraître ardu et malaisant se montre sacrément prenant. Un drôle de truc se passe et l’ensemble fait son trou. Le bruit partout crée une certaine forme d’harmonie qui reconfigure les synapses. On devient très attentif aux méandres violents et fracassés de la guitare, aux coups vifs, feutrés et griffures de la batterie, aux interventions vocales (les hahannements étranges de Not To Spill Blood, That Is The Law !) et tout ça, en s’emboîtant l’un dans l’autre, fait naître l’envie irrésistible d’en entendre toujours plus.
C’est bien sûr très différent d’I Remember How Free We Were mais qu’on ne s’y trompe pas. C’est incontestablement la même entropie et Les Tables Noires montrent que Mesa Of The Lost Women reste ce qu’il a toujours été : un truc virulent qui se montre inexplicablement fascinant.