Mange Ferraille – Erba Spontanea

Erba Spontanea est dans l’exacte continuité de l’éponyme de 2017. Mange Ferraille y malaxe la même gangue stupéfiante et vise systématiquement la transe qu’il atteint quarante minutes durant. Les morceaux ont disparu en fondant les uns dans les autres, donnant naissance à un long animal psychédélique et tribal au regard particulièrement hypnotique. Tout est à sa place – guitare, guitare baryton et batterie épaulées par deux orgues voraces – mais tout s’est aussi étoffé. C’est bien ce que semble suggérer l’encore très belle pochette (Julie Innato) où l’outil apparaît bien plus caréné qu’auparavant.
Dès ses premières secondes, le disque cueille. Le mouvement est très répétitif, la tension maximale et seuls les coups de caisse claire semblent pouvoir s’échapper du canevas très intriqué. Celui-ci se délite petit à petit avant de reprendre de plus belle et tout d’un coup, ça se tait. Une entame sidérante qui joue avec le temps – on pense qu’à peine trente secondes viennent de s’écouler alors qu’Erba Spontanea résonne depuis déjà six minutes – et triture l’espace. Ici, le gamelan irrigue la friche industrielle, la répétition forcenée se pare d’une rigueur électro et au final, le trio arpente un territoire où l’on croisera, par exemple, autant VI!VI!VI! qu’UVB76, c’est dire si c’est flou.
La freeture de Mange Ferraille s’appuie sur une poignée de paradoxes : c’est tout à la fois ténu et foisonnant, libre et aliéné, vagabond mais millimétré, rectiligne et incurvé, drastiquement instrumental mais ça chante quand même et les quatre grands moments que compte la longue pièce jouent avec tout ça. D’abord exacerbée, la transe devient sourde – on courait le cent mètres et on se retrouve les pieds dans la boue – puis retrouve de l’élan avant de se fracasser sur un mur percussif zébré de paroles-slogans fugaces à la G.W. Sok (« Are you dancing now ? »). Tout est figé mais rien ne l’est, ça mute à la fois insidieusement (dans le mouvement) et de façon très suggérée (d’un mouvement à l’autre) et on s’égare, on tâtonne, on explore. Bref, le disque donne le tournis et les poils restent dressés sur l’épiderme tout du long.

Le grand truc de Mange Ferraille, c’est ce qu’il provoque. Les émotions qu’il procure. Les idées qu’il malaxe et qu’il finit par imposer via la répétition et son sens du tribal alors que, justement, ce n’est que répétitif et tribal. L’alchimie qui s’en dégage et atteint les neurones. Le long morceau devient épopée cosmique autant qu’intérieure, il est d’abord un peu intimidant mais finit par ne résonner que pour soi. La vibration industrielle me semble un poil moins présente que sur le précédent et le côté sacré semble avoir pris le dessus même si ce n’est certainement pas le bon mot. Toutefois, difficile de dire autrement ce à quoi touche le disque : la musique s’adresse simplement à des trucs qu’on ne maîtrise pas.
On peut suivre les interventions de chacun séparément ou agrafées aux deux autres, on peut s’accrocher aux détails ou au contraire prendre un peu de hauteur et tenter de cerner l’ensemble, on peut même caviarder le morceau même si ça en amenuise l’impact : il se passe toujours quelque chose. Dès lors, si chaque écoute est strictement identique aux précédentes – c’est très millimétré – elle est aussi complètement différente – c’est très spontané.
Le trio (pour rappel, Thibault Florent à la guitare et à l’orgue, Anthony Fleury à la guitare baryton, à l’autre orgue et au chant, Etienne Ziemniak  à la batterie) joue au cordeau, resserré, chevillé, donne naissance à un truc sidérant que l’on a bien du mal à décrire mais qui trouve parfaitement sa place chez Dur et Doux, À Tant Rêver Du Roi, Poutrage, Kerviniou Recordz ou Tendresse, soit une poignée de labels qui comptent et qu’on est bien content de voir associés à Mange Ferraille.
Et on s’arrêtera là en suggérant simplement de lancer l’écoute parce que (particulièrement) dans le cas d’Erba Spontanea, ça vaudra toujours mieux que tout ce qu’on pourrait en dire.

Mag(n)i(fi)que.


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