Date de sortie : 9 août 2024 | Label : The Flenser
Mamaleek poursuit son chemin déconstruit mais garde sa grande étrangeté. Vida Blue est avant tout marqué par l’absence d’Eric Livingston – décédé au mois de mars de l’année dernière à l’âge de 38 ans – dont les claviers, le violon ou le saxophone venaient hanter les compositions du groupe (qui fut duo au début avant de devenir quintette et qui est donc désormais quatuor) depuis Via Dolorosa (2015). La Balle de baseball qui orne la pochette renvoie au lanceur gaucher toxicomane des A’s d’Oakland qui donne aussi son nom à l’album parce que « Time is a slippery fish. Maybe only someone like Vida could grasp it » .
La perte, l’effacement, l’absence, ce sont les grands trucs de Vida Blue. Oublions le peu que nous connaissions de Mamaleek jusqu’ici ; encore une fois, ça n’a plus rien à voir. Le black metal des débuts est irrémédiablement dilué, les envolées jazzy, noisy, drone, folk, ambient et j’en passe perdurent mais restent désarticulées et le groupe creuse un sillon singulier, ne ressemblant à rien d’autre. Esseulé et mystérieux. Il est toujours aussi difficile de décrire ce que l’on entend. Le parterre est en charpie, les instruments interviennent quand ils y pensent ou qu’ils trouvent une place, poursuivent une trajectoire qui leur est propre et parfois, vont dans le même sens mais la plupart du temps, pas du tout. La batterie tapote, la guitare charrie un solo incongru, quelqu’un, quelque part, siffle, un saxophone remplit l’espace, nonchalant, mille autres trucs résonnent et par-dessus, la voix beugle ou se calme, va n’importe où et pourtant, alors que tout ce petit monde se fout complètement de tous les autres, des morceaux adviennent. Beaux et ridicules. Sans queue ni tête mais très structurés.
Les harmonies doo-wop, les chœurs célestes, les éclats de blues, le jazz crémeux, les bribes de castagnettes et les poussières de xylophones, de flutes, de piano ou de quoi que ce soit d’autre apparaissent somme toute plutôt classiques mais leur agencement dans le mix, lui, ne l’est pas du tout. Ce sont vraiment les arrangements qui rendent les choses si boueuses, si étranges et alors que les éléments les plus agressifs semblent en net recul, la musique de Mamaleek reste – quelque part – très extrême. Voire même déchirante quand la voix balance des cris de pure tristesse au-dessus d’un tapis par ailleurs élégant (Vileness Slim par exemple).
Très avant-gardiste mais aussi très prenant, Vida Blue est tout le temps inattendu et inentendu. Les morceaux – longs la plupart du temps – se succèdent dans l’éther, ne se ressemblent jamais et les seuls ilots auxquels il est possible de se raccrocher quand on recherche désespérément une quelconque unité demeurent hideux : le growl d’outre-tombe (qui, très bizarrement, m’évoque de plus en plus Tom Waits), la guitare étonnamment claire la plupart du temps (Hidden Exit On A Greyhound), les claviers parfois embarrassants (Hatful Of Rain,). Tout autour, ça mute en permanence, ça emprunte à tout un tas de folklores (le Moyen-Orient, l’Asie, l’Europe, les Amériques, etc.), tout un tas de courants qui se retrouvent dans le creuset de Mamaleek qui ne recherche absolument pas à lier les choses. Qu’elles le soient et donnent naissance à de véritables morceaux s’appuyant sur des choses aussi disparates, éloignées et contraires relève de l’alchimie.
Parfois, ça montre les crocs mais pas souvent ou sur des moments très courts, souvent c’est tranquille et même, presque élégant mais pourtant, la sensation qui domine le plus en écoutant Vida Blues, c’est la méfiance. En permanence sur le qui-vive, alors que la surface n’est au mieux qu’un petit clapotis, on sent très vite que les trucs pas clairs qui se trament dans les profondeurs n’ont pas besoin de grand chose pour déchirer le haut. Alors, c’est vrai, tout ça est bien difficile à décrire mais pour ma part, je reste très attaché à tout ce que peut faire Mamaleek et assurément, ce n’est toujours pas avec celui-là qu’il tombera dans l’anecdotique.
leoluce