Une entame tranquille. Deux minutes trente de bruits variés. Quelques larsens, quelques nappes de pschittt robotiques et la voix déformée en-dessous. On aimerait bien comprendre ce qu’elle murmure mais les percussions patraques – plutôt tribales à bien y regarder – la couvrent complètement. Et puis, ça commence. Quoi ? On ne sait pas trop à vrai dire. Un canevas industriel bien présent, une guitare abstraite et tendue en provenance des premiers P.I.L. et puis la voix, toujours elle. En revanche, terminés les murmures, on est plutôt dans le guttural désormais, l’éternuement, le cri, le raclement de gorge et l’aboiement. On discerne bien quelques mots, « derrière les chiens » sans doute, « quand ça bave » peut-être, « Allez chiale! Vas-y chiale ! » plus loin – à l’unisson d’un morceau qui fait d’ailleurs juste suffisamment mal pour qu’on suive l’injonction – mais ce n’est pas grave, on comprend tout à fait ce que ça veut dire ou plutôt non, on est bien content de ne surtout pas comprendre. Parce qu’on sent bien que le message qu’elle expulse coïncide parfaitement avec la charpie sonore qui la porte. Tout le temps inconfortable et malaisée, souvent cassante et dégueulasse et invariablement sans espoir aucun. On se demande régulièrement ce qui a bien pu pousser La Race à enregistrer un truc pareil mais on s’arrête très vite en se disant qu’on n’était pas du tout obligé d’écouter et qu’on l’a bien cherché. Les précédents méfaits étaient tous du même acabit et on serait bien hypocrite d’avancer que 4 cm De Mon Amour prend par surprise. On savait à quoi s’attendre. C’est ce qui est fort avec ce disque et par extension, avec La Race, c’est qu’ils nous placent pile-poil face à nous-même. On n’écoute pas ce petit bout de vinyle noir, on se regarde en train de l’écouter. On scrute ce qu’il provoque en nous, on tente de cerner d’où viennent les nuées de papillons toxiques qui s’égaient dans nos tripes lorsque résonnent les déflagrations malades de La Peste. On se demande en permanence pourquoi on apprécie et quelque part, on espère que le groupe nous tend un miroir déformant. Qu’il grossit le trait. Mais au fond, on sent bien que c’est pour de vrai, tout ça.
L’optimisme n’est pas de ce disque. Les jours meilleurs non plus. À la place, une belle seringue plantée dans la matière noire, dans le visqueux et le froid. Jusqu’au-boutiste, vrillé, un brin nihiliste, c’est sans doute le couteau qui a déserté le fourreau de la pochette. Celui que l’on sent sur sa gorge à chaque fois qu’on écoute La Race, celui qui se plante sans doute à 4 cm de quoi ? L’Amour ? Tu parles. Ça fait mal et ça racle, ça agit comme de l’abrasif dans le creux de l’oreille, ça n’a rien d’attirant et pourtant, on l’écoute. On le remet même assez souvent. Parce qu’il y a du talent et du savoir-faire là-derrière. Les ersatz de morceaux tapissent bien vite l’intérieur du crâne, les motifs hypnotiques et décharnés d’Isséi Le Cooker/Les Chiens, l’implacable et vraiment méchant Chiale, le probablement bien nommé et très court Pilule d’Hitler qui suit immédiatement les répétitions contondantes du plus long Diable Blanc et puis La Peste, industriel, un brin harsh, complètement disloqué et surtout, parfaitement sidérant, tout ça s’incruste dans les neurones et quand ça ne veut pas, La Race sort sa panoplie de chirurgien et transforme le cerveau en enclume pour que ça rentre tout de même. La guitare aigrelette aux stridences vicieuses, la batterie monomaniaque qui semble vouloir abandonner toute trace d’humanité pour se rapprocher le plus possible des émotions froides d’une boite à rythmes sans y arriver vraiment, la voix complètement tarée, les bruits indéterminés mais déterminés qui agissent comme des stylets sur les couches tendres du cortex, l’attirail est somme toute suffisamment varié et La Race sait l’utiliser. Une belle saloperie qui, en partant du haut, envoie ses métastases envahir tous les étages, surtout ceux du bas. Qui plus est parfaitement mixé par Phil Scrotum et capté comme il se doit par Seb Normal, 4 cm De Mon Amour fait tout simplement mal. Physiquement et psychologiquement. La No Wave partouze avec le post-punk, l’indus burine le punk, la haine recouvre l’ensemble d’un voile glauque et grisâtre et Romano Burito Edouard (batterie sacrifiée), Roberto Edouard (cordes vocales barbelées) et Pavel (guitare maltraitée) – déjà croisés entre autres chez Headwar pour les deux Romain, chez Judas Donneger ou Dalida pour Pavel/Klaus Legal – observent la bête grandir au milieu, un sourire carnassier aux lèvres.