Pourtant, à bien y regarder, Jessica 93 fait du Jessica 93 et Mistress Bomb H ne fait pas autre chose que ce qu’elle fait habituellement. N’entendez pas par là qu’ils font du surplace mais tous deux continuent à consciencieusement explorer leur pré carré. Endless et Black Dog sont ainsi prototypiques des empilements singuliers qui faisaient (et font encore) le sel de Who Cares, Deflation, Tax et Cap, quant à eux, n’auraient pas dépareillé sur 9 Pictures sans que l’on s’ennuie pour autant le moins du monde. Leur musique est encore pertinente. Mais là où Salle de shoot fait très fort, c’est que la présence de l’un magnifie celle de l’autre. L’aridité de Mistress Bomb H met parfaitement en exergue la luxuriance glauque de Jessica 93 et inversement, le foisonnement des deux titres de ce dernier souligne toute la sécheresse tendue de la première. Après tout, c’est bien à cela que sert un split. Ainsi, Endless, boite à rythmes roide et basse arachnéenne en avant, s’amuse à égarer ses guitares fuyantes dans l’éther qu’exsude la voix si particulière de Geoffroy/Jessica. Black Dog poursuit le même dessein mais s’abandonne peut-être un poil plus. Hypnotique, le titre nous enveloppe et finit par nous perdre dans ses circonvolutions éthérées avec, pour seul point de repère, le martèlement des beats en plastique qui semblent marcher au pas. Encore une fois, Jessica 93 fait mouche. C’est peu dire qu’après ça, les synthétiseurs-Terminator de Mistress Bomb H prennent par surprise. Et encore bien plus, sa voix. C’est elle que l’on suit, c’est elle qui nous mène par le bout du nez. On ne sait pas trop si elle se charge de morgue ou d’argumentation mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle accapare. En-dessous, ça ferraille joliment : les microprocesseurs font feu de tout bois, suivent une trajectoire rectiligne qui s’avère bien vite complètement folle, une trajectoire qui s’oppose à la déclamation de la voix. Pourtant, point d’empilement ici, juste des bruits synthétiques décharnés assez sombres qui s’entrechoquent dans des gerbes de splatch, de pschhh et de bzzz. Une architecture mouvante que l’on pourrait croire sans queue ni tête si elle ne se montrait pas si ciselée et qui culmine certainement le temps de Cap : bruits incongrus en avant, Mistress Bomb H fait sa Miss Kittin qui aurait laissé au grenier ses oripeaux electroclash pour quelque chose de bien plus profond et consistant.
Salle de shoot tient du manifeste et incarne une certaine vision de l’underground. En cinq morceaux seulement, cette rencontre plante ses clous rouillés dans la jugulaire de notre beau pays et s’y agrippe de toutes ses forces dans un mouvement qui montre tous les atours de l’étranglement. Grâce lui soit rendue. L’impression tenace d’entendre quelque chose qui relève à la fois de l’insurrection et de la résignation. Qui plus est, les cercles concentriques imitant un clapotis abstrait sur fond de superpositions languides de l’artwork (élaboré par EK Dojo) trompent sur la marchandise tout en la traduisant complètement. Non seulement, un bel EP mais encore bien plus, un bel objet.
Glacial et très attachant, Salle de shoot est une totale réussite.
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