Déjà le quatrième album pour Haldol (en considérant l’éponyme de 2015 comme un album à part entière) et pour l’heure, la trajectoire reste strictement ascensionnelle. Et plus l’adhésion à l’un de leur disque prend son temps, plus ce dernier s’inscrit en profondeur dans l’encéphale. C’est toujours étonnant avec ce groupe à géométrie variable de mesurer à quel point lorsqu’il monte, il descend aussi et pour celui-ci, ma première réaction a été de me dire que ça ressemblait de plus en plus à The Cure. Quelques intonations dans la voix de Geoff Smith (chanteur-guitariste et membre-fondateur-seul-maître-à-bord) ne trompent pas et le décor général non plus. Quelque chose comme le salpêtre attaquant un mur, un truc qui recouvre le plus tout à fait vivant mais pas totalement mort encore. Une vibration agonisante (et très goth) qui marque la moindre seconde de Negation.
Toutefois, Haldol est loin d’être une copie conforme. On pense bien sûr à The Cure mais à tout un tas d’autres choses encore si bien qu’à la fin, on ne pense pas à grand chose de plus qu’au groupe lui-même. Il y a toujours du Christian Death là-dedans, du Birthday Party aussi et du Gun Club bien sûr (et je m’arrêterai là parce que ça suffit de sortir les sempiternels maîtres-étalons dès qu’un disque de post-punk envahit la platine) mais en quantité bien plus infinitésimale qu’auparavant. En outre, bien que les relents punk et hardcore aient presque disparu, ils ont laissé une empreinte dans l’ossature et marquent encore profondément le deathrock d’Haldol. Bref, bien que restant finalement dans un sillon post-punk bien délimité, ces morceaux encapsulent beaucoup d’éléments contemporains permettant d’envoyer valdinguer bien loin le déjà connu pour s’intéresser strictement au présent.
Le présent, ce sont ces huit morceaux et s’ils ne se dévoilent pas immédiatement, ils n’en restent pas moins excellents. Peu importe le traitement qu’on leur inflige, les frusques qu’ils revêtent, ils pourraient être joués à l’ocarina ou à l’accordéon qu’ils cueilleraient tout de même. Ils n’ont plus le côté frontal de ceux de The Death Drive (2012), ni la noirceur de jais de l’EP éponyme (2015) et s’ils paraissent dans la continuité de l’énorme The Totalitarianism Of Every Day Life (2017), ils s’en détachent pourtant via une clarté nouvelle qui rehausse légèrement le contraste. Alors, toujours rien qui accompagnera idéalement le printemps naissant et les petites fleurs dans la prairie verdoyante mais un épaississement qui voit la musique d’Haldol devenir toujours plus complexe et nuancée, plus « pop », moins renfrognée. La noirceur est toujours là mais elle l’est de plein de façons différentes et quelque part, l’impact du groupe gagne encore en envergure.
Un impact qui prend corps dès le Triangle d’ouverture. Les ornementations élégantes de la basse (aujourd’hui tenue par Andrew Ciampa) le disputent à celles de la guitare, le martellement increvable de la batterie donne un supplément de chair (toujours Aaron Muchanic comme sur le précédent) et le tout plante un décor en clair-obscur tout à la fois inquiet et urgent. Alors bien sûr, ce n’est pas l’urgence habituelle mais le morceau est loin d’être une morne plaine. Plus loin, ça divague pas mal via l’excellent Bull’s Blood, la guitare sonne souffreteuse puis montre les crocs avant de devenir moribonde sur Amuses-Bouches. Il faut attendre Taphonomy pour retrouver de l’allant, vite brisé par le très exténué Negation. Le disque palpite, il se rétracte puis grossit avant de se recroqueviller à nouveau et l’intonation générale a beau être exténuée, on palpite avec lui.
C’est presque une dialectique de la noirceur, un truc évidemment très connoté mais encore un peu plus qu’il ne l’était déjà. Haldol a arrondi les angles et en gommant ce qui m’attirait énormément jusque-là – le côté très punk et mal peigné – il m’attire (contre toute attente) encore. Pourtant, au départ, c’est plutôt la déception qui prédominait – où sont passés les cris ? et l’urgence ? où est passé ton punk, Camarade ? – mais au final, Negation s’accorde plutôt bien au faux rythme de notre époque actuelle. Le monde est au bout du rouleau, il est assez logique qu’Haldol le fut aussi mais pas question de crever la bouche ouverte, l’agonie aura du panache et sera tapissée de velours. Du coup, même si de prime abord je me suis demandé s’il s’agissait du même groupe, beaucoup d’éléments permettent de répondre par l’affirmative.
D’abord, il y a encore beaucoup de moments où le côté renfrogné refait surface (Taphonomy bien sûr mais aussi beaucoup d’autres morceaux), idem pour le côté sombre (Truth Of An Arrow pour n’en citer qu’un), les trajectoires disloquées perdurent également (The Garden et son agencement bizarre par exemple) et en délaissant son punk originel pour n’en conserver que le post, Haldol donne finalement l’impression d’avancer à poil. On retrouve donc logiquement tout ce qui nous liait au groupe. Une nouvelle fois, les Américains frappent fort et frappent juste et même s’il faut laisser le temps au disque de s’insinuer, il ne fait aucun doute qu’il s’en ira rejoindre ses trois aînés dans la boite crânienne.
Plus que jamais fidèle à son patronyme – Haldol, comme le neuroleptique – on n’a pas fini d’ingérer Negation en grande quantité en cette époque pour le moins flinguée.
(leoluce)
Negation est disponible depuis le 05 mars 2021 chez Play Alone Records. Son artwork est l’œuvre de son batteur.