Date de sortie : 22 septembre 2022 | Labels : Opaque Dynamo (cassette, version numérique et vinyle courant octobre), Cardinal Fuzz (pour le Royaume-Uni) et Feeding Tube Records (pour les Etats-Unis)
L’objet (une cassette), dans sa forme actuelle, date de septembre 2022 et ce qu’il contient, de février 2012. Quatre titres sur la face A, trois sur la B. De l’imagerie aux mots convoqués, une mythologie : du rouge, du noir, une guitare, « Real Sinners » , « Be-Bop-A-Lula » plus loin. Mais ça ne sonne jamais daté. Pas de formol là-dedans, rien de réactionnaire et s’il y a bien une doxa, elle demeure très singulière.
Supreme Asphalt Doser est le dernier témoignage de Gunslingers avant la dissolution du groupe. Il devait, à l’origine, faire suite au fabuleux Massacre-Rock Deviant Inquisitors. Il s’inscrit donc tout entier dans son sillon. Au menu, de la sauvagerie, du cambouis torréfié au sang d’encre, un genre de transe déviante qui s’insinue en reconfigurant les capillaires. À son écoute, ils ne subsistent plus que dans les mains, le ventre, les pieds. C’est très stoogien dans l’approche, extrêmement freak, toujours proto-punk, et surtout, comme à l’habitude, c’est salvateur et ça fait se sentir vivant.
C’est aussi très ciselé. Sous les abords foutraques pointe une vraie maîtrise. Gunslingers en met toujours partout mais jamais à côté et la dynamique oxymore perdure : alors qu’on a souvent l’impression que tout est balancé au petit bonheur la chance, dans l’instant et sans dessein préétabli, on est toujours surpris de voir finalement surgir de vrais morceaux. Avec des structures recherchées, des attaques variées et surtout, une vista : le trio s’inscrit dans une lignée, perpétue un esprit, ne singe jamais. Il est ce qu’il joue, jusqu’au bout du bout des ongles. Supreme Asphalt Doser est authentique, pur et racé et dégaine son lot de classiques déviants qui s’accrochent aux synapses l’air de rien.
L’air de rien parce qu’ici, impossible d’identifier quoi que ce soit qui vient flatter l’écoute : la guitare trace des zébrures calcinées selon des angles toujours inattendus, la basse n’en fait qu’à sa tête et la batterie griffe et tabasse. La voix déclame ses phonèmes dont certains sans doute forment ensemble des mots. Chaque morceau est une course en avant, à l’apex azimuté : c’est une fois que l’un s’achève et que débute le suivant (qui, souvent, n’a rien à voir) qu’on se rend compte qu’il y avait bien une construction, comme si ces trois-là décidaient instantanément où ils doivent aller à l’instant même où les sons sortent de leurs doigts.
D’ailleurs la face A rompt légèrement avec la B et réciproquement : sauvagerie et pluie d’épines pour la première, psycho-kraut et collages de sons pour la seconde sans que l’attachement à ce petit bout de plastique ne s’émousse le moins du monde.
La trajectoire peut être rectiligne ou complètement larvée, les velléités très terre à terre (l’époustouflant éponyme) ou au contraire complètement exploratoires (le très aléatoire mais pas moins impressionnant Sucked Into The Bottom), peu importe, on est transporté.
Au menu, de la sauvagerie donc (We’re The Real Sinners ou Be-Bop-A-Lula-Louie-Loua par exemple), du bizarre (Detuned For Cheap, Sucked Into The Bottom), un genre de breakbeat calciné (le génial Rebop From Arthur Lipsett’s Fluxes) et pour tout dire, tout ça en même temps la plupart du temps.
Connaissant les protagonistes, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose et on n’est pas déçu : Gunslingers sonne toujours exactement comme du GR (au micro, à la guitare transcendantale, à la fuzz irradiée et aux collages sonores) avec l’assise rythmique d’Aluk Todolo (Matthieu Canaguier à la thunderbass et Antoine Hadjioannou aux prophetic drums) et personne n’affadit l’apport des deux autres. Une belle réunion de tueurs capables d’exacerber le chaos tout en le domestiquant.
Alors c’est vrai, il a fallu attendre dix ans mais pour une fois, on se contentera de cracher à la gueule du temps qui passe parce qu’on a là une belle preuve que le rock’n’roll s’en fout complètement ; qu’il reste vif, inattendu, dangereux et beau. Et s’il fallait une preuve supplémentaire, allez fureter du côté des allées d’Opaque Dynamo, le label/mailorder de GR qui montre bien que tout est loin d’avoir encore été dit/écouté et qu’avec seulement quelques accords, les déclinaisons restent infinies.
Vital !
leoluce