Où l’on reparle de post-hardcore. Une mare qui fut un temps très encombrée et qui l’est un peu moins aujourd’hui. Une mare où l’on n’attend plus l’originalité depuis belle lurette car on a simplement l’impression d’en avoir fait le tour. Bref, quand on pose III sur la platine, on s’attend d’emblée à refréner de discrets bâillements et on se dit qu’on ne l’écoutera qu’une seule fois, qu’il réintégrera bien vite sa pochette et que celle-ci, fatalement, appellera d’abord la poussière et l’oubli pour finir. Bien évidemment, une fois n’est pas coutume, on se trompe. Pourtant, rien de nouveau sous le soleil noir : ça growle, ça s’enflamme et ça se calme, ça part dans des directions alambiquées et ça montre les crocs quand il faut que ça les montre. Tout ça, on l’a déjà entendu ailleurs et souvent. Mais il y a quand même d’autres choses à explorer que ces quelques traits prototypiques et l’album offre bien plus que ce que sa première écoute distraite laissait présager : des morceaux bien construits et une atmosphère générale particulièrement chiadée. C’est aussi légèrement mystérieux : Guantanamo Party Program hurle en Polonais et l’on n’y comprend rien mais peu importe puisqu’il s’avère que la langue s’accorde parfaitement au post-hardcore et réciproquement (on trouvera toutefois dans le livret une traduction anglaise des textes. Si l’on y tient vraiment, il est donc possible de se faire une idée de la teneur des mots noyés dans le growl). En outre, les titres n’offrent pas plus d’indications que la durée des morceaux et il est ainsi doublement difficile d’en saisir le propos. En revanche, on saisit immédiatement l’ambiance générale : maussade, tirant vers le désespéré mais n’écartant pas la rage ni la réflexion, III est foncièrement humain et nuancé, sa musique ménage nombre d’îlots aérés au sein d’un océan de lave.
Minéral et fracturé, l’album est fondamentalement lourd mais n’est pas du tout exempt de finesse : structures en tiroirs, mélodies disloquées, une utilisation chirurgicale de l’emphase et j’en passe. Guantanamo Party Program plante le décors dès l’entame avec un [5:50] qui préfigure parfaitement la suite : la basse énorme s’acoquine à une guitare plombée pour bétonner les fondations, l’autre guitare se montre un peu plus aérienne et solaire en balançant quelques arpèges dans ses riffs enclumes, la batterie martèle tout en bas et la voix éructe par-dessus. Soit plus ou moins ce que l’on entendra sur l’ensemble du disque mais là où l’on pourrait attendre un rendu par trop monolithique, l’ensemble s’avère au contraire plutôt varié : certains morceaux écrasent tout ([4:46], [4:02]) quand d’autres laissent apparaître un versant plus apaisé ([5:02], [5:37]) mais pour la plupart, c’est tout ça mélangé. On n’est pourtant pas vraiment dans une dynamique mer d’huile → clapotis → tempête systématique et c’est plutôt la dislocation qui prévaut. Les enclaves aérées succèdent aux coups de grisou selon un schéma que les cinq Guantanamo Party Program sont bien les seuls à anticiper mais les strates s’empilent et se quittent pourtant sans à-coups. Il y a pas mal d’inventivité là-derrière et beaucoup de soin porté à la dynamique, ce qui donne quelques morceaux de bravoure comme ce [5:45] parfaitement désolé et pourtant épique ou [5:01] qui achève III en le faisant léviter à l’envers. Dès lors, même si l’on pense avoir saisi l’ossature générale, plusieurs passages prennent vraiment par surprise et l’on se retrouve vite égaré dans un disque au final bien plus labyrinthique qu’il n’y paraît. Ces cinq-là maîtrisent leur sujet mais il faut dire aussi qu’ils n’en sont plus à leur galop d’essai : ayant débuté en 2010 et multipliant depuis les splits entre leurs LP, le post-hardcore de Guantanamo Party Program a joliment maturé jusqu’à ce III jubilatoire et joliment ciselé.
Un disque tout entier résumé par sa chouette pochette : à Guantanamo, ça ne rigole jamais et même le land art a les crocs.