Gláss – S/T

Date de sortie : 2 mars 2025 | Label : autoproduction

« Dedicated to our enemies, knaves alike » pour seule indication et sans doute les ennemis sont-ils nombreux quand on a tant de choses à expulser. Immédiatement après le gigantesque Local Man Dies, Gláss publie (sur les Internets) son éponyme (enfin, c’est comme ça que je traduis intérieurement S/T), vertigineux lui aussi. Quelques mois les séparent, on retrouve donc le même terreau fertile d’obsessions malaxées où une multitude de genres se fracassent les uns contre les autres (punk, post-punk, no wave, noise, deathrock, psychédélisme débridé, prêche inquiet et j’en passe). C’est toujours aussi labyrinthique, toujours aussi obscur mais toujours aussi prenant.
On se demande très vite d’où tout cela sort. Parce qu’à sortir autant de matériel inédit en si peu de temps, le risque est grand de tomber dans le vain, l’inutile ou l’affadissement mais non. Pas de ça ici. Gláss connait semble-t-il un pic d’intensité créative et tout ce qui sort de ses doigts est – littéralement – incroyable. À l’instar des sept minutes et quelques de Haptic Border Lover par exemple, qui apparait en quatrième position et dégaine un genre de flûtiau sur un parterre rythmique sec comme un coup de trique. C’est incongru, ça pourrait être ridicule mais pas du tout. La guitare file une dentelle accidentée, la voix roule les « r » et quelques nappes anxieuses hantent l’arrière-plan jusqu’à ce que tout ce petit monde mute d’un coup sans qu’on l’ait vu venir et c’est un nouveau morceau dans le morceau qui fait irruption. Des trouvailles comme celles-ci, il y en a pléthore et du coup, l’ensemble a beau être long, on reste incapable d’en fixer les contours.
Chaque nouvelle écoute est différente et quand on tente de cerner ce que l’on écoute, c’est toujours en pure perte. Comme à l’habitude, il faut simplement se laisser porter et accepter l’errance.

L’ossature des morceaux est toujours aussi difficile à décrire et paradoxalement, ça reste très construit. Pourtant, c’est vraiment très désarticulé. Plus d’une fois, un titre vient chasser l’autre sans ménagement, l’interrompant vraiment en plein milieu d’un mouvement, comme s’il y avait des bugs dans l’album mais non, c’est bien comme ça que S/T progresse.
S’étirant de vingt secondes à plus de treize minutes, la moindre parcelle d’espace est exploitée et tous les silences ont été chassés – ceux entre les morceaux, dans les morceaux – et l’album prend des allures de patchwork halluciné qui garde son intensité intacte tout du long.
Même dans ses moments les plus calmes et suspendus (The Humour Of Shedding Velvet par exemple ou l’ultime et très beau (Late To Practice)), ça reste étrange et vénéneux, via des superpositions étranges, des strates d’inconfort et d’anomalies qui apportent beaucoup de profondeur aux morceaux. Dans ces conditions, aucun ne sort du lot et tous se valent, les très courts, les très longs, les moyennement courts ou longs, la moindre seconde est porteuse d’un sacré poids. Et à la fin, quand arrive l’épilogue, on reste sidéré.
Qu’est-ce que c’était ?
C’était Gláss, le secret le mieux gardé d’une Amérique déliquescente et à l’agonie mais pas encore tout à fait en état de mort cérébrale. Pas mal de ses dernières cellules grises sont encapsulées dans ce disque.

leoluce

P.S. : le 1er avril, Gláss publie Forbidden Cache, une collection de quarante-cinq nouveaux morceaux (si si) en téléchargement libre. Là encore, de l’inédit, beaucoup de mystères (des titres à l’envers, d’autres renvoyant à un album inconnu – Pallets In Motion (Sans Owner CensorShip) – des démos, des trucs très construits, des ersatz et de vrais titres) et des heures d’exploration en perspective. Parce qu’en plus, c’est souvent très beau.

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