Date de sortie : 03 mai 2024 | Labels : Own It Music
Troisième album mais avec Girls In Synthesis, le nombre n’a pas vraiment d’importance. Le trio est prolifique, enregistre et documente tout, sort une quantité industrielle de singles et d’EP vite épuisés avec, à chaque fois, beaucoup de matériel inédit (ce nouvel album est quelque chose comme leur vingtième sortie, tous formats confondus). Et ce qui est vraiment très fort avec eux, c’est qu’en faisant toujours plus ou moins la même chose, c’est aussi de mieux en mieux. Non pas parce qu’ils franchissent de supposés pas mais plutôt parce qu’à chaque nouvelle occurrence, c’est toujours un peu différent et malgré tout, l’ensemble frappe par son unicité et sa grande tenue.
Les pochettes en noir et blanc, le gris partout, les paysages décharnés qui ornent les albums (pour celui-ci, la photographie est de Bea Dewhurst), les textes acides et réalistes, l’engagement et une musique qui reste âpre et sombre tout en mutant et explorant de multiples nuances. Punk, post-punk, anarcho-psych-indus, pluie froide sur tôle rouillée, la tourbe et l’asphalte, les grands ensembles et les parkings souterrains, le stress et l’amertume, l’agacement et la colère brute, Girls In Synthesis encapsule tout ça dans ses morceaux et Sublimation qui explorent la combustion lente ou la déflagration.
Et justement, Lights Out en ouverture rompt quelque peu le paradigme urgent largement pratiqué jusqu’ici : nappes grinçantes, guitare et voix esseulées, c’est presque doux (tout en étant très largement inquiet), basse et batterie rejoignent les deux premières mais ça reste patraque. Jusqu’à la moitié. Là, le morceau change de peau, devient autre et grouillant, chaotique, la basse retrouve son urgence arachnéenne et tout s’organise pour retrouver plus ou moins les chemins prototypiques du trio. Enfin, il me semble tout de même que cette fois-ci les claviers ont gagné en envergure : lugubres, ils sont partout et viennent systématiquement enrober les refrains ; le reste du temps, ils grouillent.
Sublimation apparaît ainsi un poil plus arrondi qu’à l’habitude : Corrupting Memories et surtout I Was Never There qui clôturent la face A – très mid-tempo et presque (proto- ?) goth – ou The Prefix, à la quasi fin de la B, lèvent le pied et prennent le temps d’installer une ambiance mortifère. Tout autour, c’est plus pressé mais là aussi, les mélodies affligées prennent souvent le dessus. Un peu comme si Girls In Synthesis avait choisi cette fois-ci de mettre la focale sur les textures et les couleurs, trouvant une voie nouvelle mais sans changer du tout au tout. L’arrachage est moins systématique, le velours est plus épais, plus travaillé et on a souvent l’impression que l’essentiel se passe dans l’arrière-plan : le travail des claviers, on l’a déjà dit mais aussi quelques riffs étranges qui contrastent l’ossature principale, des rythmes parfois plus nonchalants (délaissant légèrement les cymbales) rendent le parterre plus dense et nuancé.
Sur Sublimation, on retrouve donc bien le trio mais il a incontestablement encore muté.
Comme à l’habitude, les accroches ne manquent pas : Deceit et son orgue moribond, les zébrures acides de Semblance Of Choice ou We Are Here, l’urgence funeste de Picking Things Out Of The Air, le très volontaire Subtle Diffrences ou le bruit blanc qui vient clore A Damning Lesson et le disque procurent pas mal d’effet et agissent sur l’encéphale comme des flashs gris. Le disque semble dessiné à l’eau lourde, irradié de l’intérieur et j’ai parfois l’impression que Girls In Synthesis n’a jamais été aussi sombre. Pourtant, on retrouve les refrains énergiques, l’allant général et la vitalité habituelle mais incontestablement, Sublimation creuse le noir et l’encore plus noir. Et, toujours en recherche, le trio rajoute une strate supplémentaire à sa doxa insurrectionnelle qui plus que jamais embrigade complètement.
Et ce faisant, Girls In Synthesis, encore une fois, touche infiniment.
leoluce