De prime abord, ça ne paie pas de mine. Des machines, une guitare et une voix un brin déclamatoire. C’est minimaliste, ça tchak-poum en digital, ça bong-bong mollement et ça balance ses mots à la volée, on en saisit des bribes – «03 août 1930», «il est mort d’amour au bord du précipice», «pardonnez-nous nos ondes de choc», «nous sommes des dieux» ce genre – sans bien cerner l’ensemble. De prime abord, ça ne paie pas de mine. Tous les titres se ressemblent, ils paraissent invertébrés et trop ancrés dans les ’80s synthétiques pour ne pas refréner un bâillement chargé de lassitude à leur écoute. De prime abord, ça ne paie pas de mine et on se dit comme ça que l’on va expulser l’ensemble du disque dur et libérer l’espace déjà trop encombré par ce type d’ersatz congelés qui cachent sous un vernis paresseusement sombre la vacuité de leur propos. Le groupe n’a rien à dire et ne le dit en plus pas très bien. Bref, de prime abord, on passe à côté et on se plante complètement. Car le charme indéniable de Noires Sont Les Galaxies vient précisément de là. Comment un disque aux arguments si minces peut-il faire son trou dans la boîte crânienne ? Tout simplement parce que ses prétendus minces arguments le sont faussement. C’est minimaliste, certes mais on sait bien déjà que la démarche consistant à délester la musique de tout ce qui l’encombre pour n’en garder que le nerf ne peut être que réfléchie et donc, par nature, complexe. Ensuite, à bien y regarder, rien n’est ici invertébré, c’est même plutôt charpenté et finement ciselé. Il y a déjà de quoi explorer pas mal si l’on se concentre sur l’habillage – voir comment la guitare s’enchevêtre aux nappes ou les bouscule par exemple – mais c’est sans compter sur les mots. Ce que la voix balance est en permanence partagé entre une vision de la machinerie humaine réduite à de simples réactions chimiques qui en dicteraient les actes (Notre Chimie Du Pétrole) et celle, plus alambiquée et tout aussi juste, d’un sujet pétri d’émotions contradictoires (Embrase-moi). Grand écart parfaitement porté par la musique aux nuances sombres, glaciales mais pas moins nombreuses.
Ex Fulgur, ça ressemble à la version cold wave/post-punk/contrite/renfrognée des tout aussi fabuleux qu’indéfinissables Cougar Discipline. Musicalement, rien à voir bien sûr mais on retrouve pourtant sur Noires Sont Les Galaxies le même équilibre miraculeux entre texte et musique qui faisait (et fait encore) les riches heures d’Âme Soeur. On retrouve ça aussi sur quelques morceaux Des Engins de Oui Mais Non ou chez Judas Donneger. Les mots et les nappes froides griffés par la guitare barbelée sont à envisager en parallèle et si l’on se concentre sur les uns au détriment des autres, quelque chose vient à manquer. La forme et le propos ne sont pas simplement redondants, ils se font mutuellement la courte échelle pour atteindre l’acmé et cela confère aux morceaux une sacrée densité. Et puis ce n’est pas uniformément sombre. Enfin, si, ça l’est mais on décèle au détour de No Way To Get Out ou Tu N’Es Pas Un Chapeau Mon Amour une forme de groove ténu et singulier qui pousse à esquisser un pas de danse. Robotique, le pas, et plutôt dans son coin, refermé sur soi-même mais un pas tout de même. «T’aimer est la seule solution» et l’on ne saurait mieux dire. Tout ce que l’on pensait être simplement morne se montre au contraire magnétique : le tchak-poum increvable, le bong bong arachnéen, les nappes terminator mais inquiètes et les estafilades abstraites administrées par la guitare enferment complètement. C’est écorché tout le temps et surtout carré en permanence. Idem pour le chant qui peut parfois se montrer approximatif (Un Truc Dans Le Genre ou le lamento habité du magnifique Embrase-Moi) mais jamais ô grand jamais à côté. Déclamatoire ou susurré, retenu ou vindicatif, parfois à la limite de la rupture, on le suit quoi qu’il fasse, hypnotisé par les mots qu’il emploie, des mots qui sont aussi les nôtres et donc, qui ne semblent parler qu’à soi. Le pouvoir de conviction d’Ex Fulgur tient enfin aux membres qui le constituent : derrière le micro, Odilon Violet, derrière les machines, Saïtam (déjà croisé chez We Only Said mais aussi en solitaire) et derrière la guitare, Mistress Bomb H. Les trois se sont bien trouvés et, une fois mis ensemble, donnent l’impression de s’électriser mutuellement, charriant alors des morceaux tout à la fois retors et obsédants.
Parce qu’il était facile de se casser la gueule et rater un disque tel que celui-là. En faire trop ou au contraire pas assez. Foirer le subtil équilibre qui pousse à réitérer l’écoute. Tomber dans l’apitoiement ou l’égocentrisme, voire l’onanisme. Laisser le plus grand nombre dans la nébuleuse, à l’orée de la galaxie. Rien de tout ça ici. À la place, un bloc froid, dense mais vibrant , constitué de huit morceaux et d’autant de réussites, que l’on sait n’avoir pas fini de sonder.