Date de sortie : 15 juillet 2022 | Label : Araki Records
La première fois que j’ai entendu parlé de Dandaure, c’était à l’occasion d’un chouette split avec Chaman Chômeur, L’an 1312 en 2020 (alors qu’un premier EP était déjà paru sur Gaffer Records deux ans plus tôt), et la rencontre me semblait alors aller de soi. Aux digressions hallucinatoires des premiers répondaient les hallucinatoires digressions des seconds. Un sens de l’exploration incisive que l’on retrouve aujourd’hui sur Rude Nada, premier album du quartette sardo-phocéen (Fabio Cerina et Fabrizio Bozzi Fenu aux guitares, Krim Bouslama et Billy Guidoni à la rythmique) qui freeture allègrement mais pas que. C’est que Dandaure est tout aussi tellurique que rampant, structuré qu’accidentel. Il explore un large spectre expérimental où la no-wave fricote avec le noise-rock, le blues déstructuré avec l’ambient et le drone, où rien n’est fixé alors que la musique l’est.
L’album ne dure qu’une petite demi-heure mais s’amuse avec le temps qui, avec lui, n’est plus un continuum rigide mais un truc qui zigzague, se contorsionne, se serre et se détend ; donnant autant l’impression de savoir où il va que d’avancer au gré des bifurcations qui apparaissent au bout de ses doigts. Rude Nada change régulièrement de peau et ce faisant, son empreinte apparaît. C’est très exploratoire mais c’est surtout très déterminé et jamais vain. Pas de démonstration technique mais un plaisir évident à jouer ensemble des trucs abstraits qui sont loin de n’être que pour soi. Ça frotte et ça freecote très intelligemment : riffs carnassiers répétés à l’envie, notes tordues, goût pour l’atonalité, batterie très fine et incisive, basse maousse, tout s’emboîte parfaitement et insuffle à ces morceaux méandreux une vraie richesse.
Ça commence par un bel orage électrique qui d’un coup devient tout plat bien qu’une pulsation féline hante le parterre. Des zébrures acides surgissent, d’un coup elles aussi, ramenant la tension au premier plan. Ça s’appelle Displose Moon et c’est d’emblée saisissant. Idem du côté d’Ideona Decline qui suit immédiatement, morceau Janus partagé entre son soubassement disloqué et ses guitares déliées et cosmiques. Kaliportage s’en va encore ailleurs en imitant l’eau qui dort, agitée de soubresauts psychés. On retrouve tout ça dans les trois morceaux suivants qui sont pourtant encore différents et au bout d’un moment, on n’a plus vraiment envie que ça s’arrête, on aimerait pouvoir en détailler encore plein d’autres mais évidemment, la fin arrive bien trop vite.
Rude Nada, c’est une trop courte demi-heure tout aussi fracassante qu’hypnotique, apaisée que fracturée et d’une très grande fluidité. Ça joue ample et serré à la fois. Le disque respire, demeure en permanence spontané tout en étant très méthodique. Une gageure.
À bien y regarder, on retrouve tout ça dans la chouette pochette : les aplats colorés au centre partent dans tous les sens sans se mélanger pour mieux dessiner les lettres du titres. C’est un peu ça Dandaure, une lampe à lave dont les grosses bulles multicolores montent et descendent perpétuellement et hypnotisent.
leoluce