Comme le souligne Chris Weeks lui-même dans les notes qui accompagnent ce nouveau long format, l’idée de voir un jour l’humanité atteindre Mars et fouler le sol de la planète rouge n’a jamais été aussi présente dans les médias. Une aubaine pour ce féru des astres – une évidence dans sa discographie depuis le fabuleux The Haunting Sun et son successeur Contemplation Moon aux mouvements cosmogoniques puissants et poétiques – qui met en musique au gré de ces 8 instrus drone ambient les étapes clés de l’exploration martienne, entre récit scientifique et anticipation cinématographique.
Pour l’Anglais, qu’on avait laissé cette année sur le très bel EP The Glass Ceiling et sa suite aux allures de déconstruction féérique et abstraite, tout commence il y a un quart de siècle avec la perte de signal de la mission Mars Observer, à laquelle The Lost Observer adresse une élégie scintillante de blips enchantés aux boucles de nappes stellaires et de piano manipulé, comme un appel aux générations futures, aux enfants de l’époque dont il faisait partie, de reprendre un jour le flambeau. Un espoir qui renaît 20 ans plus tard avec l’épopée du rover Curiosity, ce fameux véhicule qui continue d’arpenter la planète, sondant, photographiant et prélevant des échantillons depuis 6 ans déjà en préparation de future missions. Le superbe morceau du même nom en retrace ainsi l’épopée, de l’entrée dans une atmosphère inconnue et lourde de menace aux pianotages et beats feutrés évocateurs d’une inlassable exploration avant que la poussière statique des drones ne vienne à recouvrir d’ici quelques années les débris de ferraille de cet aventurier robotisé aux transmissions sur le déclin.
C’est donc au tour de l’homme d’entrer en jeu. Blips délicats et respiration assistée, Analog: Dreams of a Red Planet représente cette phase de simulation à laquelle la NASA confronte ses futurs astronautes martiens, des phases de sommeil induit qui font écho en fin de morceau, lorsque des cordes synthétiques ascensionnelles à la Eno font leur apparition, au rêve des candidats de voir enfin ces expériences du subconscient devenir réalité. Pour ceux d’entre eux qui partiront, l’hypersommeil se prolongera de quelques mois, le temps d’un voyage en caisson cryogénique que le motif de clavier minimal d’Hypersleep (Journey to Mars) met en musique sur un lit de pulsations mécaniques ouatées et de basses profondes au rythme cardiaque ralenti.
Sur Pathfinder, après les secousses d’une entrée en atmosphère rapide mais agitée, la clarté du clavier s’oppose aux bourrasques de hiss, la ferveur de l’accomplissement face à la rigueur des conditions. A la manière du film « Seul sur Mars », il est temps de penser au long terme et à l’autosuffisance : c’est le thème sous-jacent du cristallin Hydroponics, du nom de la méthode qui consiste à faire pousser des végétaux dans des solutions d’eau et de sels minéraux sans notre bonne vieille terre pour les nourrir, un achèvement qui justifie ici de délicates touches de lyrisme cliquetant sous une pluie de condensation qui réverbère le piano préparé de l’Anglais de la plus belle des façons.
Pour autant, l’auteur de The Lost Cosmonaut n’a pas complètement délaissé son goût pour un isolationnisme angoissé, et entre le radiant Satellites of Mars, méditation dark ambient oppressante sous les deux lunes martiennes Deimos et Phobos aux sombres auspices mythologiques de terreur et d’effroi, et la mélancolie du final Dust to Dust (A Long Way From Home) imaginant au gré de ses accords dramaturgiques et de ses craquements de vinyle poussiéreux un probable échec de la colonisation, les rêves de Chris Weeks s’avèrent aussi précaires voire évanescents que ses soundscapes analogiques. Pragmatisme ou désenchantement vis-à-vis d’un futur dont les promesses de conquête spatiale n’ont fait que décevoir ce qui subsistait de nos cœurs d’enfants depuis ces premiers pas sur la Lune restés sans lendemain, on sent quoi qu’il en soit que l’envie d’y croire est toujours bien là, une nécessité pour les grands sensibles dans un monde où les raisons d’avoir foi en l’avenir se comptent sur les doigts d’une main que l’on mutile année après année…