Cheever – Ensimismado

Date de sortie : 15 mars 2022 | Labels : Day Off Records, Araki Records, Super Apes Label

Ensimismado : replié.e sur soi-même / Cheever : courage. Presque tout est dit et en même temps, pas grand chose. Les deux mots cernent l’esprit mais pas la musique. Quoique. C’est un repli sur soi très aéré, qui joue beaucoup avec le silence, gèle le tempo et laisse les choses advenir. D’ailleurs, il m’a fallu laisser du temps au disque ; pour qu’il s’immisce, qu’il se révèle ; par petites touches abstraites d’abord jusqu’à ce que le grand Tout fasse sens. Non pas qu’il faille du courage pour arriver jusqu’au bout, loin de là, mais parce que la matière à l’œuvre est ici très éparse, fragmentée, qu’on y entend pas mal de choses très fugaces qui ne se fixent à l’encéphale que très lentement et qu’au départ, tout est gris. Petit à petit, ça se nuance, ça cristallise et la couleur uniforme ne le reste plus.
Pour résumer, Ensimismado, c’est d’abord une masse froide et inerte mais on sent très vite qu’en dessous, ça vibre et qu’il y a de gros blocs en mouvement. C’est du slowcore à la Codeine, rehaussé de shoegaze, on décèle également une légère orthogonalité post-rock. C’est très sec. Et très lent.
Parce que Cheever pourrait être générique et il ne l’est pas. Ne pas se fier aux premières mesures du The Walk introductif et surtout, réfréner le bâillement qui devrait logiquement prendre corps à leur écoute : le morceau n’arrête pas de muter, une voix féminine vient draper le refrain et l’équilibre calme/fureur est très bien dosé. Le bâillement retourne dans sa niche. Et c’est pareil pour le reste. Alors qu’on a déjà entendu tout ça, ça n’a pas forcément été en mieux et c’est bien ça qui fait toute la différence. Ces quatre-là maîtrisent leur truc, y mettent beaucoup de conviction et de fait, très vite, on est convaincu.

C’est spleenique et ample, ça tapisse rapidement l’espace à la sortie des enceintes et ça réverbe de partout. Les morceaux s’enchaînent sans jamais photocopier la même ossature et alors qu’au début, tout semblait monolithique, les écoutes ultérieures permettent de desceller les changements de braquets. Pour un très charmant Sundance planqué au mitan du disque, on compte aussi You Love Me Less très plombé malgré ses voix éthérées. Deux extrémités entre lesquelles Ensimismado n’arrête pas de louvoyer avec grâce et une vraie dose de talent.
Du coup, difficile de rester de marbre devant des morceaux aussi addictifs et dépressifs que When You’re Feeling Tall, Bus Stop Ocean ou Still dont les montées en puissance ne sont jamais téléphonées et préservent l’évidence mélodique partout. La voix délavée, les guitares (franchement) superbes, la basse arachnéenne et la batterie sèche se reconfigurent sans cesse et donnent corps à une masse floue mais jamais informe. Bref, on se sent très bien dans le disque qui, l’air de rien, se rapproche à certains moments d’un Ventura.
Il faut dire que les quatre Cheever (et leurs deux invitées, Marie-Laure et Emilie) ne sont pas vraiment les premiers venus et si leurs parcours respectifs ne laissaient aucunement présager de la teneur d’Ensimismado (pêle-mêle, on a déjà rencontré les un.e.s et les autres chez ChooChooShoesShoot, Naked Ghost, Trench Piss ou Known As Numbers, liste non exhaustive), ils sont parfaitement maîtres de leurs gestes et savent comment s’y prendre pour sculpter le son et en extirper de grosses gouttes de mélancolie.

Pour conclure, dire que la pochette (reproduction d’une œuvre de Zhu Hong) correspond pile à ce que l’on entend et qu’à l’écoute d’Ensimismado, vous devriez ressentir le froid et les embruns, l’océan jamais loin, vous fouetter le visage.

(leoluce)


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