Date de sortie : 31 mai 2024 | Labels : Falls Avalanche Records, Last Disorder, L’Engeance
Il y a des disques dont on n’a pas envie de déranger la musique. Ténus, en équilibre, quand on est dedans, on les laisse faire. Quand on écoute Triste, Mais En Tout Temps Joyeux, mieux vaut l’écouter vraiment sinon tout s’évanouit. Ça ne veut pas dire qu’il est exigeant, non, ça veut dire que si l’on en perd des miettes, on perd aussi le récit qu’il tisse patiemment. Alors attention, Bélier Mérinos ne raconte pas d’histoire. Son récit est autre. C’est plus la description de lieux et de moments. Son disque est un disque d’impressions. De sensations aussi. Et pour les ressentir toutes, il faut tout simplement écouter. Comme on lit un bouquin. Ou qu’on regarde vraiment un film.
Rien de spectaculaire, des guitares égrainées, de l’autoharpe, des claviers enveloppants, un peu de chant, quelques field recordings qui, tous ensemble, provoquent pas mal d’images derrière les yeux. Pas vraiment des plans fixes, des choses un peu plus fugaces, une déambulation dans les bois, les pieds écrasant le sable, le vent qui frôle le visage, des senteurs, des textures sur le bout des doigts, des couleurs, des goûts, des trucs impalpables et indéfinis mais qui existent quelques secondes ou se fixent plus longuement avant d’être chassés par d’autres. C’est un disque d’errance, d’abandon, tout friable en apparence alors qu’il a été « longuement imaginé et maturé » et c’est vrai que cette impression de grand équilibre provient sans doute du temps qu’il a fallu pour que tout s’emboîte. On passe du drone à l’ambiant, les recoins folk s’ornent de motifs flous et indéfinis sans qu’on ne soit jamais complètement perdu. Il y a bien une construction derrière.
Ils sont trois à façonner le flux : Geoffroy Pacot (des trop rares Don Aman entre autres, il s’occupe ici de la guitare et d’une grande part du reste), Francesca Raimondo (l’autre guitare) et Kévin Valentin (les claviers) mais c’est le premier qui est à la manœuvre. La musique, les images et les moments qui en sont à l’origine, les mots qui les reconfigurent, ceux qu’il déclame aussi, viennent de ou sont empruntés par lui. C’est donc un disque très personnel. Le deuxième après Trois Moutons Laineux en 2020 qui le voyait déjà (seul cette fois-ci) tisser des motifs strictement parallèles à ses impressions et ressentis.
Ici, l’ensoleillement des premiers titres cède peu à peu la place à quelque chose de plus étrange, de plus inquiet, l’ombre gagne du terrain sans jamais tout recouvrir. C’est effectivement Triste, Mais En Tout Temps Joyeux tout en étant ni complètement l’un ni pas du tout l’autre. On entre complètement à l’intérieur de soi en écoutant le disque et lorsque la voix de Geoffroy Pacot résonne vers la fin de l’éponyme, elle nous extirpe de notre rêverie et on comprend qu’on est dans le rêve d’un autre. Tout ça pour dire que cette musique s’accorde parfaitement au flux intérieur et bien que son moteur se trouve dans la friction forcément singulière entre « des souvenirs idéalisés, souvent naïfs, propres à l’enfance » et « la perception adulte de ces derniers » , tout se passe comme si ces souvenirs et ces perceptions étaient les nôtres. Bélier Mérinos peut raconter son histoire, c’est aussi la nôtre, la vôtre, qu’il décrit.
Mais bon, tout ça échappe aux mots. Au final, il n’y a pas grand chose d’autre à écrire qu’une injonction à écouter ce disque infiniment touchant.
leoluce