Sec et pelé, dépourvu de la moindre once de fioriture, Gold est pourtant sacrément enveloppant et si au début, on ne savait pas trop qu’en dire, on s’est vite rendu compte qu’il nous accompagnait partout. Et qu’il le fera encore probablement longtemps. Pourtant, rien de plus qu’un triangle instrumental où se côtoient guitare, basse et batterie. De temps en temps, quelques claviers viennent rehausser l’écorché voire un violon ou quelques bribes de slide. Pas grand chose en somme. Mais de cette ossature minimaliste naissent pourtant bon nombre d’émotions. Comment se fait-il d’ailleurs qu’un parterre aussi chiche puisse transmettre si bien ses électrons vibrants et ses hématomes ? Premier élément de réponse : les voix y sont pour beaucoup. Bien sûr, d’abord celle, très expressive, de Dominique Van Cappellen-Waldock (aka Diabolita). C’est elle qui est à l’origine des mots et de la musique. C’est encore elle qui est contenue toute entière dans Baby Fire. Elle l’incarne donc parfaitement. Mais, tout à côté, il y a aussi les choeurs – Gaby Séguin (qui s’occupe aussi de la basse) et Isabel Rocher (batterie) – qui accompagnent l’ensemble d’une incroyable justesse. Prenez le Burning Body, Burning Bed d’ouverture, à la base un morceau plutôt martial pourtant précipité dans les limbes par ses Ahahahahah hantés apparaissant en toute fin. Les voix se complètent et, ensemble, évitent d’en faire trop (ou pas assez). Elles trouvent systématiquement la bonne distance pour embarquer le cortex dans les mots tour à tour lucides, désabusés et doux-amers de Gold.
Autre élément de réponse : les compositions. Elles aussi, à l’instar des voix, avancent sur un fil ténu et jouent les équilibristes entre bruit pelé et mélodies écorchées. Le silence y est prépondérant. Et la lenteur également. Toujours singulière, elle permet d’en décupler l’impact. C’est tout à la fois posé et abrasif, minimaliste et dense, ça distribue ce qu’il faut de calme et de joliesse pour mettre en exergue les moments plus enlevés (le refrain de Burning Body, Burning Bed ou encore Liver) et parfois c’est l’inverse, ça piétine l’espace pour laisser la mélodie l’envahir (Let It Die ou Tiger Heart possédé par Siouxsie). Habités d’une belle tension, les morceaux à fleur de peau électrisent l’épiderme : outre tous ceux précédemment cités, difficile de rester impassible devant la majesté de Gold, Lovers ou How Do I Love Thee ? Les invités apportent beaucoup également : le violon de Seesayle, les claviers d’Alinovsky, la guitare slide de Kevin R. Thomson (d’Enablers) ou celle tout court de Pierre Vervloesem déposent une strate supplémentaire à l’écorché qui le reste tout de même. Car on ne trouvera dans ce disque ni nappes envahissantes ni chromes rutilants. Chacun ajoute simplement quelque chose sans jamais dénaturer l’ensemble. Un less is more minéral qui sait ne compter que sur quelques armes et avec elles, suggère beaucoup. C’est un peu la patte de Dominique Van Cappellen-Waldock, ça. Toujours entourée mais ne sonnant jamais comme quelqu’un d’autre. Que ce soit chez LAS Vegas ou Von Stroheim – dont le doom, sous son emprise, gagne en lenteur et sensibilité – on la reconnaît immédiatement.
Au fond, Baby Fire ne change pas mais se magnifie de disque en disque. No Fear (2011), The Red Robe (2014) et aujourd’hui Gold, la trajectoire reste la même, la lenteur, envoûtante et singulière en ces temps de mouvements frénétiques. La musique du trio prend son temps pour mieux s’imprimer dans le cortex et y reconfigurer les synapses. Sa mélancolie intrinsèque devient vite la nôtre pour peu qu’on lui en laisse le temps.
Et ce temps-là, prenez-le.
Beaucoup aimé également celui-ci.