Date de sortie : 01 avril 2022 | Labels : Coolax (6 hent Tanguy Prigent 22420 Le Vieux-Marché), La Face Cachée, Red Wig, Jarane, Crapoulet, Dans le vide, Lucane distro., Epicericords et Emergence
Le disque s’accompagne d’une lettre. Elle commence par « Madame, Monsieur, Autre, » puis explique l’essentiel. Un premier concert, une première démo (excellente) enregistrée sur un 4-pistes cassette et aujourd’hui Strange Times Call For Strange Measures. Elle ne mentionne pas le nom des musiciens – comme si l’important n’était pas là – mais celui de Michel, décédé il y a peu. « C’est Michel que vous voyez de dos sur le recto de la pochette du disque » . Il est à l’origine d’un collectif breton qui, de 1980 jusqu’à début 2000, collectait puis acheminait des fauteuils roulants au Pérou. Michel est aussi le père du chanteur du groupe. Plus loin, on relève les mots « collectif » , « solidarité » , « fraternellement » mais aussi « amour » et « conscience de classe » . Des mots aujourd’hui abîmés mais qui résistent et sont, au fond, encore bien vivants. Pour l’heure, je n’ai pas encore parlé de musique mais tout ça est néanmoins très important et explique beaucoup (notamment mon attachement sans réserve à ce petit bout de plastique bleuté).
Le groupe s’appelle Angry Silence, ce nom, lui aussi, dit beaucoup voire tout.
Référence au film d’Attenborough ? Au morceau de TV Personalities ? Profession de foi ? Peu importe, le silence du groupe est lourd de signification et dans leur cas, la musique rejoint le fond.
D’abord, difficile de faire l’impasse sur la voix. Elle ramène évidemment à Litovsk (c’est le même chanteur) dont Angry Silence délaisse le post pour ne conserver que le punk. Qu’il associe à une bonne dose d’indie rock sensible et classieux. L’ensemble est irrésistible et me renvoie un paquet d’années en arrière même s’il ne s’agit nullement de bête nostalgie car tout, ici, sonne intemporel. On pense évidemment pas mal aux ’90s (Seam, Guided By Voices, TV Pies voire Sebadoh et tutti quanti) mais si on y pense, ce n’est qu’avec parcimonie car la musique d’Angry Silence est avant tout très personnelle.
Ensuite, ces douze titres ont un je-ne-sais-quoi d’indéfinissable : il y a toujours quelque chose de légèrement exténué dans l’arrière-plan alors que, dans son ensemble, Strange Times Call For Strange Measures est plutôt vif. C’est peut-être la voix – légèrement éraillée, monocorde mais parfaite – ou les enluminures de la guitare, l’évidence mélodique partout et notamment dans beaucoup de refrains qui atténuent les angles sans jamais les rendre indolores. My Mate Jeffrey par exemple, en 4ème position, montre bien cela : une entame tranquille, un bégaiement plombé à la suite du refrain et une fin toutes guitares en avant. Il s’y passe pas mal de choses.
Angry Silence n’en fait pourtant jamais des tonnes, préfère suggérer, mettre sa simplicité et son urgence en avant. Il faut dire que l’ensemble a été capté en une petite semaine et qu’on sent bien que tout a été fait pour préserver la grande spontanéité de l’ensemble. Du coup, on dénombre beaucoup de points d’orgue qui s’inscrivent sous la peau et des textes à l’image de la lettre sus-mentionnée et de la musique qui les cerne : Our Place Called Future, Day In Day Out, Pissing Rain, All Beauty Elude Us, Time To Get Real et tant d’autres touchent énormément sans en avoir l’air. Ça transpire l’humilité et la sincérité – oui, ce sont des mots bien compliqués pourtant, c’est vraiment ceux-là qui me viennent à l’esprit – et tout l’album nous prend par l’épaule. La reprise de The Dark End Of The Street (standard soul écrit par Dan Penn & Chips Moman et enregistré en premier par James Carr) ne sonne absolument pas comme une reprise et s’intègre harmonieusement au reste, manière de dire que tout cela s’avère tellement racé que tout emprunt sonne comme du Angry Silence.
Je n’irai pas plus loin, difficile de dire à quel point ce que font ces cinq-là – outre Manu de Litovsk (entre autres projets), il y a aussi Pascal-feu Et Mon Cul C’est Du Tofu/aujourd’hui Coolax (et seul maître à bord dans Besoin Dead), Louis (à la batterie, déjà croisé chez KIAL? et de nombreux autres groupes), Akim (à la basse, auparavant aperçu avec feu-Pillow Face qui avait partagé un chouette split avec Central Massif en 2017) et Gordon – vise juste, tout le temps.
Simplement ajouter qu’ils ont encore suffisamment de morceaux pour sortir un nouvel album, que pour l’heure il y a déjà ces douze-là et qu’ils offrent la démonstration éclatante que l’activisme, le collectif, certaines valeurs qui n’ont pas trop le vent en poupe en ces temps d’individualisme forcené ne sont pas morts et qu’on peut encore les encapsuler dans un disque d’indie rock bien punk qui fait sens.
(leoluce)