Alabaster vient de Lyon. Alabaster agrafe une guitare et une basse à une batterie et puis, il y a le chant aussi. Alabaster hésite en permanence entre noise et hardcore et refuse de choisir son camp camarade, ça sera donc les deux avec beaucoup de punk et de metal en sus. Alabaster aime les lignes droites mais qu’on ne s’y trompe pas : pour aller du point A au B, Alabaster passe d’abord par toutes les autres lettres de l’alphabet. Alabaster balance des morceaux qui sidèrent non seulement par leur rage mais aussi, donc, par leur construction. Time To Get A Job ? Tu parles, c’est ça leur job. Précisément cet album. En mettre plein la gueule et liquéfier les neurones. Mais attention, il ne s’agit nullement d’un disque simpliste qui se contente d’expulser sa colère, il y a beaucoup de finesse dans l’agression : guitare disloquée aux circonvolutions abstraites ; basse énorme et ronde se lançant invariablement dans des trajectoires alambiquées ; batterie métamorphe, infiniment plastique et tout le temps tendue et puis la voix, omniprésente, puissante, forcée juste ce qu’il faut pour ne pas tomber dans le beuglement, parfois rehaussée de quelques chœurs étranges que l’on ne s’attendait pas vraiment à trouver là (Victim’s Victims ou Our Dying Empires, Your Lives) et tout cela au service de morceaux à tomber. Retors et sauvages, ils écrasent tout, consciencieusement, systématiquement, impitoyablement et lacèrent ce qui tient encore debout. Ils sont invariablement renfrognés, jamais bienveillants et sont coincés en permanence entre le gris et l’encore plus gris. Pourtant, dans ce secteur pour le moins ténu, Time To Get A Job réussit à extirper nombre de nuances. On est même sidéré par l’imagination dont il fait preuve tout du long.
De Casper The Unfriendly Bitch en ouverture, prototypique et carré jusqu’au long dénouement complètement désarticulé Our Dying Empires, Your Lives, c’est un festival : des breaks en pagaille, des riffs glauques et méchants, des trajectoires bizarroïdes où les instruments se désolidarisent alors qu’ils étaient inextricablement unis l’instant d’avant, le chant jusqu’ici hargneux qui devient feulement puis murmure avant de reprendre de plus belle et j’en passe. Mais tout cela, toujours, au service des morceaux. Il n’y a aucune surenchère, aucun moment où prime la démonstration, rien de gratuit ou vulgaire. Au bout du bout du bout, seul compte ce qu’Alabaster veut faire passer. Et il s’y prend si bien que l’on saisit parfaitement le message et même plus, on l’assimile. Pour l’espoir et les lendemains qui chantent, ça se passera ailleurs mais pour cerner l’époque, le nœud gordien de toutes les idées noires, il y a Time To Get A Job et ses morceaux barbelés. Tous ont la même propension à cibler les blessures mais certains ont la capacité de transformer une éraflure en fracture ouverte : Questioning Caesar et ses claviers inattendus, ses changements de rythme incessants, Guacamole Bulldog et ses relents à la Unsane (la basse) vs. Fugazi (le chant à certains moments) sans qu’il ne sonne jamais comme l’un ou l’autre (on pense plutôt à Kiss It Goodbye), Australian Jo pour la dichotomie entre la basse imperturbable et la guitare qui ne cesse de muter ou encore Victim’s Victims et son jusqu’au-boutisme affligé. Bref, Alabaster est une sale bête qui appuie systématiquement là où ça fait mal. D’un autre côté, Pierrick Marin (guitare), Thomas Dantil (chant et une autre guitare), Damien Debard (basse) et Rémi Dulaurier (batterie) n’en sont pas vraiment à leur coup d’essai comme en témoignent leur 10″ inaugural (2013) et leur appartenance à d’autres formations passées ou actuelles telles Sofy Major, Geneva, Kiruna ou Overmars : ces quatre-là maîtrisent leur sujet.
Loin d’être blanc comme l’albâtre, Alabaster est plutôt noir comme le jais et contrairement à la pochette, l’ambiance n’est pas non plus à la franche rigolade. Time To Get A Job n’invente rien mais ça n’a strictement aucune importance. Ce qui compte, c’est l’impact de sa musique.
Et celui-ci est franc, massif, indiscutable.