Date de sortie : 06 décembre 2024 | Label : autoproduction
De l’épaisseur dans l’épaisseur, du sous-texte dans le sous-texte, du flou entre les formes et aucune netteté. Local Man Dies garde pour lui ses repères et on ne sait pas du tout comment y entrer. Ça ressemble à un long prêche halluciné, ça roule les « r » , ça détache les syllabes et les mots (sauf quand ils sont tous rassemblés dans le même souffle) sur fond d’orage crypté. C’est hyper répétitif mais encore plus mouvant, c’est suspendu mais aussi complètement fracassé, c’est très long mais comme ça efface consciencieusement le temps, on finit par s’en foutre que ça le soit. C’est le troisième album de Gláss et il est encore plus vertigineux que Wilting In Mauve qui, pourtant, était plus que très haut.
D’emblée, Withsun Recede happe. Même plus, il sidère. On s’accroche aux paroles, on n’y comprend rien. Le chant donne l’impression de débuter au deuxième couplet, derrière, ça bégaie, ça matraque et ça freeture tout en restant bloqué sur le même tempo mortifère. Et il y a surtout ces chœurs en guise de refrain génial : exténués, au bout du rouleau, visant le parterre, ils procurent un effet bœuf. C’est étrange, tout à la fois vif et affligé, ténu et débordant, clair-obscur mais surtout obscur. On se dit que le décor est sans doute posé mais pas du tout parce que de décor, il n’y a point. Si tout le reste demeure vénéneux et halluciné, ça ne l’est jamais de la même manière.
Par exemple, sur Praxis Fetter Witness qui suit immédiatement, la voix se montre moins déclamatoire, plus engagée, idem du côté de la guitare qui prend les devants, déploie même quelques arpèges suspendus avant de reprendre son bégaiement barbelé. Ça n’a plus rien à voir même si c’est tout pareil. Circular : Ruins est encore ailleurs, complètement vrillé et divagant et ainsi de suite jusqu’au bout. Chaque morceau est une nouvelle facette qui rend la forme générale un peu plus nette mais sans qu’il n’y ait jamais de mise au point : ça et là, des éclats noise, des pincées de jazz (Spare : Letter ou Tawdry Manor Crope), de blues, de deathrock, de mélopées étranges (Black Drambule (Halfwit)) entre autres éléments épars qui s’agrègent pour former un gros bloc de granit qui bouffe la lumière. Un gros bloc de granit dense et très noir, aux contours flous et aux arêtes saillantes, qui coupe et qui pèse.
La musique de Local Man Dies ménage, on le voit, beaucoup de bifurcations et il y a énormément à explorer. Impossible d’en cartographier tous les recoins, il y a forcément quelque chose qui échappe. Et c’est la même chose du côté de l’habillage : les « Audible lyrics » (ce qu’on entend ) et « Visible lyrics » (les images mentales que ça provoque ?) qui accompagnent chaque titre, la carte d’identité de chacun qui apparaît quand on clique dessus, tous ces mots qui ménagent eux-mêmes des voies nouvelles, des associations bizarres dont on ne saisit jamais complètement le sens. À ce niveau aussi, il y a forcément quelque chose qui échappe et ça rend l’ensemble impressionnant. On comprend vite qu’il faut lâcher prise et accepter de ne pas tout saisir, d’être pris par surprise et laisser Gláss s’insinuer dans la boîte crânienne.
La voix qui débite des textes hallucinés chevillée aux incisions multiples de la guitare mouvante, la basse agonisante et métamorphe, la batterie qui claque, tout ça finit par dessiner un tout vibrionnant, pulsatile et tout le temps prenant. Local Man Dies construit des murs suintants autour de l’encéphale, c’est un truc très accidenté et aliénant, qui peut multiplier les minutes mais jamais pour être démonstratif et en mettre partout, plutôt parce que c’est nécessaire pour épuiser les sons et les mots contenus dans les trois Gláss. Que ça ne nous épuise pas tient de la gageure.
Bref, on tient-là un grand album qui se cache sous une pochette qui ne paie pas de mine (mais qui fait sens, Local Man Dies ressemblant un fine à un journal aux multiples articles) et qu’on espère pouvoir tenir un jour en dur entre les mains.
Mag(nét)ique.
leoluce