Colombey – La Fenêtre Sombre

Date de sortie : 20 juin 2024 | Label : Jelodanti records

Je déteste l’autotune. Je déteste aussi les nappes souffreteuses et les touches de piano trop appuyées, encore plus lorsqu’elles sont associées à des beats en plastique rachitiques. Je déteste l’alcool triste qui repasse les contours de la vie au gros feutre noir, quand il est « mille heures du mat’ » , les nuits pathétiques et misérables, les cœurs gravés dans l’écorce des arbres et la mort. Je n’aime pas beaucoup plus tout ce foutu processus de périurbanisation qui voit la morne agglomération grignoter la campagne environnante. Je n’aime pas les châteaux d’eau grisâtres et les barres d’immeubles photocopiées ou « les pavillons Bouygues de merde » qui se répliquent dans le paysage.
Je n’y suis jamais allé mais comme toutes les communes rurales se ressemblent, je sais que je déteste Colombey. Et Rebais aussi. Ceci dit, je déteste aussi la densité.
Dans tous les cas, des concepts à la musique, c’était évidemment peine perdue avec La Fenêtre Sombre, album qui mélange un peu tout ça dans ces huit nouveaux morceaux de Colombey aka TG Gondard (c’est son quatrième album après l’éponyme en 2016, L’Eau Noire en 2017 et Au Siècle Dernier en 2020. La même charte graphique, un blason différent).
Encore une fois je déteste Colombey et si je n’y suis jamais allé, j’ai en revanche bien écouté. Plein de fois. Vraiment plein de fois. C’est même dingue de passer autant de temps à écouter un truc qu’on déteste autant. Sans doute parce que l’inconcevable s’est produit. Alors que mon cerveau criait « fuis ! » , dans le même temps, ce petit pervers manipulait mes doigts pour qu’à mon corps défendant je relance systématiquement l’écoute. J’ai tout de suite détesté aimer Jamais Aucune Chanson, j’ai engueulé mes poils pour avoir plus d’une fois osé se dresser au son de La Peau et encore plus mon épiderme de soubresauter dès que Pour Qui Est Cette Chanson ou Le Ciel/La Peau résonnent quelque part. Cet album, c’est n’importe quoi mais c’est aussi assez merveilleux. C’est un truc de prestidigitateur, ça trompe la raison et on n’y voit que du feu. Il s’insinue sans peine alors que tous les signaux sont au rouge.

Je déteste l’autotune mais j’aime encore plus l’utilisation qu’en fait TG Gondard. Ça rend sa diction un peu kitsch mais ça fait claquer ses mots qui, sans ça, claqueraient pourtant assez. C’est un kitsch à la Kundera : si c’est créé comme ça, c’est qu’il le fallait et ça montre l’accord catégorique de Colombey à TG Gondard et réciproquement. Les textes sont déjà très forts mais je suis persuadé qu’ils le sont encore plus avec cette saloperie d’autotune qui transforme les mots « en millier de larmes de robot étincelantes » (et merci au passage de fournir le mode d’emploi).
Même chose du côté des nappes souffreteuses. Ce n’est pas tant qu’elles soient souffreteuses, c’est plutôt qu’elles sont totalement dépressives. Et, souvent, belles à pleurer. Leur alliance avec des beats moribonds précipite directement la musique de Colombey dans les tréfonds de la petit boule noire nichée au creux du ventre où elle s’épanouit et repeint tous les atomes en gris.
Ainsi, des concepts qu’il manipule aux sons qu’il utilise, tout dans cet album fait écho et on se sent moins seul. J’ai pourtant passé l’âge des samedis soir, des petits cœurs gravés dans l’écorce, des déclarations d’amour un peu tartes mais incontestablement, Colombey fait écho. Sa vision claire alors même qu’il décrit si bien les méandres de son cerveau embrumé, sa rage neurasthénique et son autodérision s’accordent parfaitement au spleen ambiant et aux vraies raisons de déprimer.
Une nouvelle fois, Jelodanti Records a eu le nez creux et sort un disque inclassable qui ne pouvait trouver refuge que chez eux (et je vous passe le paragraphe obligatoire sur la beauté de l’objet en lui-même, vous savez).

« Est-ce que quand tu chanteras une chanson qui parle de moi/Est-ce qu’alors tu mettras un peu d’autotune sur ton corps ? »
Eh bien, contre toute attente… oui !

leoluce

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