Date de sortie : 14 avril 2023 | Label : Relapse Records
Quasi deux mois à se tenir loin du clavier à cause de cette foutue vie quotidienne qui nous transforme en ersatz d’hamster affolé galopant dans sa roue. On court, on court, on court. Pour aller où ? aucune idée mais on court. Quelques disques ont néanmoins trouvé le temps de s’incruster sur la platine dans l’intervalle et parmi eux figure Härvest de Poison Ruïn.
Dans le titre, dans le nom, des trémas partout ; sur la pochette, du vert vif se mêle au noir, une cotte de maille côtoie une faux, la silhouette est cernée d’un champ de blé. Si l’on retrouve toute l’imagerie un peu fauchée de la géniale compilation éponyme (qui réunissait certains titres des deux cassettes inaugurales sobrement intitulées I et II, autoproduites respectivement en 2020 et 2021) parue à l’origine sur Urge Records, puis sur Drunken Sailor Records et aujourd’hui sur Relapse, on constate aussi qu’avec Härvest (et son passage chez Relapse), Poison Ruïn est passé à la couleur.
Dans son iconographie en tout cas, parce que pour les reste, rien n’a bougé.
Au regard de l’objet et si vous n’avez jamais écouté le groupe, vous pourriez certainement vous attendre à prendre de grosses giclées de metal (d’obédience plutôt black) mais pas du tout. Il y a bien quelques éléments qui s’en rapprochent mais pour le reste, Poison Ruïn, c’est surtout du punk. Drastiquement lo-fi, complètement viscéral, incluant quelques zestes de mélodies (dans les intros, les interludes et les fins) mais pas trop, des passages carrément heavy et des bouts de claviers surannés et pixelisés. Un curieux mélange qui convoque le Moyen Âge pour parler du présent, s’appuie sur des éléments des ’80s (punk & heavy metal, urgence & solo a plusieurs doigts) tout en sonnant contemporain, les Misfits jamais loin et les Wipers plus près encore. Alors, c’est plutôt crade mais il y a toujours ces claviers étranges semblant débarquer d’un ascenseur ou d’un monde virtuel qui apaisent quelque peu la doxa par ailleurs fortement arrachée de Poison Ruïn, c’est aussi très écorché tout en étant carré et si ça n’a pas grand chose pour lui, ça cueille.
Ça commence façon Vangelis puis d’un coup, la guitare sonne l’hallali et c’est parti. Voix éructée, batterie monomaniaque, riffs pressés et basse maousse prennent le contre-pied des premières 90 secondes de Pinnacle Of Ecstasy. La production boiteuse (tout a été capté et mixé par le groupe lui-même même si le mastering a été confié à Arthur Rizk) en exacerbe la sauvagerie. Plus tard, les claviers reviennent, marquent les débuts et les fins (Härvest, Resurrection I ou Slowly Through The Dark par exemple) et le disputent toujours à une panoplie de riffs franchement obsédants. Parfois, ça lève le pied (Frozen Blood) mais dans l’ensemble, ça vise plutôt la grande urgence en balisant la route de classiques instantanés dont j’ai beaucoup de mal à me défaire : Torture Chamber, Härvest ou encore Blighted Quarter colonisent ainsi l’encéphale à grands coups de massue dans la gueule.
Ajoutons à cela quelques textes malins qui se focalisent sur le Moyen Âge pour mieux aborder les affres du capitalisme conquérant, une vraie variété dans le tempo, les voix ou les ambiances qui peuvent passer en un clin d’œil d’un genre de Motörhead insurrectionnel à du Clayderman ravagé. Bref, vous comprendrez aisément pourquoi il faut écouter ce disque si ce n’est déjà fait tout en vous jetant sur la compilation sus-citée puisqu’il va de soi que chez Poison Ruïn, rien n’est à jeter.
C’est vrai, les quatre de Philadelphie n’en sont encore qu’à leurs balbutiements (Poison Ruïn n’est toutefois pas vraiment le premier groupe de chacun) et tout ne brille pas par sa grande originalité mais voilà, Härvest se montre la plupart du temps tellement irrésistible qu’il est difficile de ne pas succomber.
leoluce