Un arcane. Rien de moins, rien de plus. Une enclave hermétique dédiée au noir et rien qu’à lui. La couleur générale, les sensations provoquées, les images et émotions convoquées, tout part de là et tout y ramène irrémédiablement. À tel point que l’on pourrait y voir une sorte de concept, une pose ou, en tout cas, quelque chose qui fasse douter de la sincérité de Writhes In The Murk et par extension, d’Ævangelist. On se dit qu’il faut avoir un sacré sens de l’humour pour élaborer un tel bloc inhospitalier empruntant un peu à tout ce qu’il se fait de plus glauque, malsain et agressif et que le duo cherche avant tout à effrayer le bourgeois. Que c’est du grand-guignol, du carton-pâte, que c’est pour de rire. On cherche alors les plus imperceptibles indices qui permettront de révéler que cette collection de morceaux relève du mélodrame outré. De prime abord, on n’en trouve pas. Et même, plus on scrute les entrailles de Writhes In The Murk, plus il fait sens, ce qui fait qu’à la toute fin, on n’a toujours pas trouvé. En revanche, on aura exploré des pièces sacrément bien construites, amalgamant toujours dans le même élan Black et Death – c’est la marque de fabrique d’Ævangelist depuis De Masticatione Mortuorum In Tumulis, leur premier long format fortement expérimental de 2012 – et cette fois-ci encore plus d’agrégats dark ambient qui assombrissent une mixture pas vraiment drôle. Ces moments apaisés ne constituent aucunement une respiration, une ouverture où pourraient se glisser d’infimes rais de lumière. C’est même plutôt l’inverse. Disséminés avec parcimonie, ils épaississent l’obscurité et sont à l’origine de beaux moments de malaise quand tout ce qui les entoure se montre déjà bien suffisamment noir. C’est un peu comme rajouter des touches de gris sur une composition morne et délavée. Enfin, morne, ce n’est peut-être pas le bon mot. Le disque tabasse, accumule les strates ce qui le rend massif et véloce. Extrêmement glauque, il est jusqu’au-boutiste à la fois dans son exécution et ses intentions, ce qui le rend bien difficile à circonscrire en quelques mots.
Dans la parfaite continuité d’Omen Ex Simulacra, il va sans dire qu’Ævangelist s’enfonce toujours un peu plus loin et dès Hosanna, belle amorce, la messe est dite. Une introduction fuyante et plombée, des riffs exsudant une tenace odeur de souffre, du blast beat qui dégueule, des superpositions ventripotentes, des growls solennels mêlés à des textures atmosphériques patraques, du chant clair par-dessus, peut-être bien la seule chose de claire à bien y regarder. Pour le reste, c’est un vortex qui précipite les neurones dans les tréfonds, un maelström dont on a bien du mal à définir les contours tant tout y est complètement mélangé. Tous ces éléments semblent passer devant à tour de rôle mais très vite, on n’y comprend plus rien. Ou plutôt, on renonce à comprendre quoi que ce soit. On débranche alors le cortex et on est fin prêt pour la curée. Des ralentissements intempestifs et pas clairs de The Only Grave aux structures alambiquées de Præternigma, de l’ambient bien dark de Disquiet au curieux saxophone d’Ælixir, les deux Ævangelist façonnent des ambiances mortifères bien plus que des morceaux, visent clairement le malaise et l’anxiété. Et Ascaris (chant, violoncelle et saxophone) et Matron Thorn (une grande partie du reste) maîtrisent de plus en plus leur sujet. Writhes In The Murk semble d’ailleurs amorcer une vague inflexion et voit Ævangelist se rapprocher un peu plus de la borne Black que par le passé : les guitares morbides et désossées, le chant clair et fantomatique, les intonations majoritairement désespérées l’éloignent légèrement du Death et rappellent de loin un Blut Aus Nord dans son versant exaspéré. L’amoncellement, le credo de la superposition, les expérimentations en tout genre, les textures malsaines, les nappes méphistophéliques, le souffre que l’on inhale à grandes goulées, les guitares tour à tour écorchées, massives et nues, les percussions tribales et denses, le chant dégueulasse, tout cela percute l’épiderme et, lorsque ça ne veut pas rentrer, parvient tout de même à s’insinuer par le biais d’intonations plus du tout orthogonales qui relèvent bien plus de l’éther que du trente-huit tonnes. Et Writhes In The Murk de venir mourir sur le long morceau éponyme amalgamant tout ce que le groupe a si bien développé le temps des pièces précédentes, parfait épilogue qui laisse enfin les synapses revenir au premier plan.
Ce nouvel opus, comme les précédents finalement, constitue une expérience sonore – et plus généralement sensorielle – masochiste et singulière, une expérience que l’on vit d’une traite et lorsqu’elle s’achève, on voit bien comment Ævangelist a repeint les parois invisibles de la vie quotidienne. Pendant quelques instants, alors que l’on est encore coincé dans la pochette, il fait noir et froid, des murmures indéterminés flottent dans la pièce, des fumerolles blanchâtres et visqueuses saturent l’espace et petit à petit, quand tout cela s’évapore, on se rend compte par quoi l’on vient de passer. Exténuant et implacable, Writhes In The Murk se montre tout simplement monumental.
leoluce