Chaos Echoes – Transient

Pizzicato et cloches solennelles. Avec une telle entame habitée, Chaos Echoes annonce sans attendre la couleur : explorer sa mystique, Transient pour en cartographier les contours. Des chœurs liturgiques hantent d’ailleurs une bonne partie de Senses Of The Nonexistent, long rituel introductif tout à la fois hiératique et païen. Une messe noire dédiée à un culte que l’on ne connait pas, qui ne nous est sans doute pas destiné mais dans lequel, pourtant, on se laisse emporter. Difficile de faire autrement quand les minutes se comptent en secondes et que les morceaux coulent les uns dans les autres sans que l’on se rende compte de quoi que ce soit. Chaos Echoes déploie toute son épaisseur dissonante sur sept titres qui sont autant d’épopées singulières, toujours sombres, jamais identiques mais fortement liées. Il en résulte un album dense et fracturé où se mêlent toujours death metal et expérimentation, technique sans faille et exploration avec, cette fois-ci, l’impression que le groupe a parfaitement réussi à fondre tous ces éléments les uns dans les autres, atteignant un point d’équilibre qui lui permet d’exprimer ce qu’il a dans le ventre en utilisant pleinement toute l’étendue des armes qu’il sait avoir à sa disposition. Aucune démonstration ici mais un message très personnel. Très cérébral aussi c’est vrai. Et alors ? En quoi faudrait-il reprocher à Chaos Echoes de soigneusement peser ses mots, d’être le plus précis possible quant à ce qui le taraude et qu’il veut nous faire parvenir ? Que le propos exige des enclaves ambient bien noires ou de longs riffs tordus, des gouttes de drone lourdes et massives ou un tempo largement lent, des guitares-enclumes ou des râles discordants, peu importe, il demeure clair tout du long. Ce n’est pas une litanie, encore moins une logorrhée que le groupe donne à entendre, c’est au contraire un discours parfaitement bien construit.

Coincé pile-poil entre Tone Of Things To Come et Duo Experience/Spectral Affinities, Transient balance du zeuhl dans son death, sans doute encore plus qu’avant et s’il reste fidèle à son credo, il en repousse néanmoins les limites. L’ensemble est tout à la fois monolithique et extrêmement varié. Les Interzone, épilogues-prologues, finissent patiemment d’effilocher les morceaux qu’elles suivent tout en fournissant corps et chair à ceux qu’elles précèdent. La IV (Intoxicating Beauty, la bien nommée) se charge par exemple de la transition entre le long rituel introductif (Senses Of The Nonexistent déjà évoqué) et Advent Of My Genesis, plus clairement typé death bien qu’encore largement tangentiel sans que l’on ne ressente le moindre à-coup. De la même façon, le final psycho-death avec claviers imposants et martèlements mastodontes de ce dernier morceau trouve idéalement sa suite dans l’Interzone V qui prépare tout autant au déferlement de Kyôrakushugi et ainsi de suite. La dynamique sans cesse mouvante se retrouve néanmoins préservée tout du long. Chaos Echoes joue sans arrêt sur la différence et le paradoxe : pour un passage massif, le même complètement larvé, pour un bout de sauvagerie, le même d’apaisement et ainsi de suite, le plus souvent au sein du même morceau mais aussi entre eux si bien que très vite, on largue les amarres et on vit le disque bien plus qu’on ne l’écoute, on oublie les morceaux et l’on se retrouve à écouter des fragments avec tout autant de sidération que lorsqu’on découvre l’ensemble à la toute fin. Du death prototypique mais aussi fortement tangentiel avec nombre d’incursions pyschédéliques, jazz, black et ambient, une somme mastodonte qui pourtant n’assomme jamais et se montre accorte et accueillante pour peu que l’on fasse l’effort d’y entrer, sachant qu’à aucun moment Chaos Echoes ne viendra vous chercher ou ne vous tendra la main.

On ne dira pas que l’album se mérite parce qu’on pourrait croire alors qu’il se réserve uniquement à quelques personnes, les seules à même de comprendre, ce qui n’est nullement le cas. Chaos Echoes joue ce qu’il est et ce qu’il est donne Transient. Il n’y a rien à comprendre, tout à ressentir. Sa vibration intrinsèque est certes parcourue d’ondes occultes, enfouies et donc mystérieuses mais il se trouve qu’elle fait bien souvent écho à celle que l’on a au plus profond de soi. Au bout d’un moment, les pensées deviennent parallèles à celle du disque et réciproquement, on en fait alors tout simplement partie. Difficile d’extirper un titre de la masse, tous se valent, les enclaves Interzone se révèlent probablement les plus expérimentales, les morceaux qu’elles encadrent, les plus carrés bien que le tremolo morbide des guitares, les ondes déviantes et mortifères de la basse associées au jeu conquérant mais extrêmement plastique de la batterie réfutent une telle appellation et ce ne sont pas les multiples effets balancés ici et là qui rendront à l’ossature son orthogonalité supposée. Chaos Echoes, bien que minutieusement technique, se drape d’une aura voilée, de guingois, c’est une écaille visqueuse et noire qui file entre les doigts. En permanence. La tête desséchée du superbe artwork (une nouvelle fois élaboré par le bassiste Stefan Thanneur) montre bien que la matière cérébrale se trouve entre les sillons après avoir déserté la boite crânienne. Le disque est tout à la fois intelligent et primaire, une belle gageure qui confère à Transient et à Chaos Echoes toute leur singularité.

Remarquable.

leoluce

 


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