Toujours bref et toujours corrosif, You Want It Real, quatrième (et peut-être dernier ?) album de Lié, préserve la doxa féroce du trio. Et si rien n’a fondamentalement changé depuis Consent (2014), ces huit titres hargneux représentent sans doute ce qu’elles ont enregistré de plus dense et de plus riche jusqu’ici. D’une part, le propos est moins direct et s’appuie sur des images et métaphores légèrement plus cryptiques qu’à l’accoutumée quoique toujours largement portées sur l’anéantissement du patriarcat conquérant et la mise à mal du consumérisme aliénant. D’autre part, le trio se fend de quelques titres aux structures inédites. Attention, on n’est pas dans un changement drastique de paradigme mais You Want It Real s’appuie sur des compositions qui ont encore gagné en épaisseur et se montre très bien construit tout du long.
Bien sûr, Lié reste exclusivement punk dans son approche, la vibration post n’a pas non plus complètement disparue (comme il en restait encore quelques miettes sur Hounds) mais les échardes noise qui parsemaient leur musique sont un peu moins contondantes, légèrement rabotées et cela clarifie les morceaux. Ça reste concis – tous les titres en-dessous des trois minutes – mais un poil moins hérissé et surtout, chaque occurrence bloque sur une répétition drastique semblant débarquer des musiques électroniques, ce qui n’étonne pas plus que ça quand on sait qu’Ashlee Luk (la guitariste) vit désormais en Allemagne (c’est bien pour cela que ça pourrait être le dernier) où elle promeut Minimal Violence et que Brittany West (la bassiste) est également impliquée dans Sigsaly, deux projets d’électro-harsh dont on retrouve quelques réminiscences nichées au creux du maelström furieux de Lié.
Autour de ces Digging in the Desert, Good Boy ou You Got It qui reprennent les choses exactement là où Hounds les avait laissées, on trouve des titres comme All Night Long, Bugs, Drowning In Peace ou LSD qui s’appuient sur un parterre mélodique dont on soupçonnait bien l’existence mais qui avait jusqu’ici rarement était mis en avant à ce point. Alors, certes, c’est encore très vitriolé, les voix entremêlées conservent toute leur rage au même titre que les instruments qui les portent mais derrière les tombereaux d’urgence, on voit bien comment Lié ménage quelques ouvertures pour aérer sa musique par ailleurs encore infiniment claustrophobe.
Ça va vite, très vite, et à peine s’est-on acclimaté qu’une nouveau morceau déboule mais alors que le corollaire devrait être que l’on n’en retient rien, You Want It Real s’accroche et s’arc-boute et s’agrippe. C’est que les Canadiennes ont un truc bien à elles qui provient sans doute de l’enchevêtrement inextricable de leurs voix et de ce qui sort de leurs doigts quand elles se retrouvent dans la même pièce : où qu’elles aillent, elles y vont ensemble et le triangle ne laisse jamais aucun sommet sur le bas-côté. Ça donne des morceaux très compacts, des blocs de griffes extrêmement denses même lorsque Lié lève le pied ou balance des mots-barbelés qui poussent à se concentrer sur eux en délaissant le reste (le saisissant « Tonight/I’ll be whoever you like/Cause I need more possessions/To feed my masculine disease » sur l’ultime LSD) mais le brutal monolithe se montre paradoxalement finement ciselé lorsqu’on y regarde de plus près. C’est un fait, Lié a gagné en clarté et on identifie désormais sans peine les empilements d’idées et les apports de chacune entassés dans ces courts segments de moins de trois minutes.
Publié sur Mint Records comme le précédent, You Want It Real est tout simplement leur meilleur album à ce jour.