Une pochette à la Dethscalator mais à l’imagerie un tout petit peu plus humaine, un disque au cordeau mais qui dévale parfois des pentes inédites, une clarinette qui apporte beaucoup mais qui n’intervient que sur une petite poignée de titres et toujours ce parterre noise-punk à gros grain que l’on pourrait croire grossier alors qu’il ne l’est pas. C’est vrai pourtant que Tropical Trash aime le rectiligne, la pulvérisation de l’obstacle en ne s’embarrassant d’aucun détour ou bifurcation : la basse bong-bongue, la guitare sature, la batterie tabasse et la voix balance ses invectives sans se presser alors que tout autour, c’est la guerre, point à la ligne. En ouverture, une belle salve de morceaux qui ne dépassent jamais les trois minutes, voire bloqués sur quelques minuscules secondes (Mineral Waste) : ça file vite, ça écrase tout et c’est très recroquevillé sur sa dynamique. Toutefois, on connait les loustics et déjà sur UFO Rot, ils nous avaient fait le coup du changement de paradigme entre deux faces. Ici, c’est beaucoup moins marqué, mais ça louvoie quand même pas mal : Tropical Trash abandonne la ligne droite à partir du cinquième morceau exactement en même temps qu’il lève légèrement le pied.
Les larsens jusqu’ici bien présents mais très ténus finissent par envahir l’espace. Le groupe laisse tomber la voie rapide et s’en va explorer les à-côtés. Et pousse à réévaluer les premiers titres : c’est vrai qu’ils filent vite mais ils possèdent aussi une part d’étrangeté qui provient d’une multitude de sons grouillants et malaxés qui envahissent les fondations sans crier gare, reconfigurant le parterre et donc tout ce qui se tient dessus. C’est quand même pas mal exploratoire et beaucoup plus ciselé que ça en a l’air. Du coup, lorsque les atours bizarres (Third & Fourth Ingredient, Circling AT&T… It Takes A Train To Fuck, etc.) prennent le dessus, on n’est pas tant surpris que cela puisqu’au final, Southern Indiana Drone Footage se révèle très nuancé et riche en rebondissements. Sur leur précédent long format, la séparation était franche alors qu’aujourd’hui, elle ne l’est plus : tout se mélange et les morceaux se déploient sur un segment qui relie le pied au plancher structuré au flou larvé, chacun s’approchant de l’une des deux bornes sans jamais exclure totalement l’autre. Tropical Crash a tout simplement grandi et maîtrise désormais ses envies.
Balançant de grosses rasades psycho-sludge dans son noise-rock, tordant le punk à grands coups de hardcore exténué, lorgnant parfois vers le jazz saccagé, la mixture de Southern Indiana Drone Footage n’est peut-être pas constituée d’éléments très originaux (on pense parfois à Spray Paint voire Shit & Shine) mais n’en reste pas moins singulière. Cette voix déjà, toujours déclamatoire, limite patraque, qui s’oppose souvent à la vélocité du reste tout en étant parfaitement à sa place. La guitare qui muscle son lexique, balançant son lot de riffs carrés avant de les abandonner sans prévenir pour patauger dans la freeture en compagnie de la clarinette. La basse qui alterne attaques conquérantes et accompagnement caoutchouteux. Les morceaux qui peuvent être rapides ou lents mais encore plus sûrement les deux à la fois, toujours mal peignés, capables d’abandonner en cours de route ce qui avait été patiemment construit jusque-là pour se vautrer dans le bruit blanc. Glass Dog en ouverture – caréné pour la ligne droite – et Rewinder Blues en toute fin – répétitif et disloqué – et tout un tas de déclinaisons entre les deux.
Parfaitement dégueulasse (mais un tout petit peu moins qu’UFO Rot, le son est aujourd’hui presque clair. Presque.) mais surtout franchement magnétique, Southern Indiana Drone Footage est une belle giclée de boue visqueuse que l’on se prend en pleine poire mais bien loin de s’en débarrasser, on finit par l’étaler pour recouvrir le corps tout entier. Le propos manipule des concepts vaguement politiques parfaitement traduits par la musique : le pourrissement, le non-sens économique, la théorie du complot, l’évaporation des dernières illusions, le noir plus fort que le noir et l’absence totale d’espoir : bienvenue à Louisville, Kentucky. Le plus fort là-dedans, ce sont ces morceaux qui arrivent à s’extirper de la gangue – Third & Fourth Ingredient et ses cuivres en roue libre qui s’emberlificotent parfaitement à la dislocation totale de l’ensemble, les bourre-pifs au ralenti assénés par Leather Charm ou encore le très court Mineral Waste – mais d’une courte tête car le disque s’envisage d’abord comme un tout. C’est vrai qu’on était triste d’avoir vu disparaître le fondamental Load Records – sur lequel était paru UFO Rot (concomitamment à Riot Season) – mais comme sa tête pensante gère aujourd’hui National Waste Products, on peut voir dans Southern Indiana Drone Footage une forme de continuité qui rend les larmes moins amères.
Moche et mal famé peut-être mais surtout grand et très très très jubilatoire.