Le nouvel album de Pylone s’appelle Silence. Cinq années le séparent de Things That Are Better Left Unspoken. Silence ? Quand tout l’album met en avant la belle capacité du groupe à le meubler. Le noise rock des Toulousains est toujours aussi affuté. Angulaire. Piégeux. La basse y est très présente. Hypnotique. Mais c’est sans compter sur les deux guitares qui, tout à tour, dialoguent avec elle, s’épaulent, se distribuent toute la hauteur du spectre ou se fracassent l’une contre l’autre. La batterie tchack-poume avec une précision d’orfèvre. Les morceaux sont millimétrés et Pylone les a délestés de la moindre once de gras. Silence ? À bien y regarder, oui, c’est la grande affaire d’un disque qui n’explose quasiment jamais et renferme nombre d’îlots relativement apaisés dans son ossature tourmentée. Et puis, évidemment, il y a aussi les textes , une nouvelle fois joliment troussés. Les non-dits étaient à l’honneur sur le précédent, il est donc bien normal de mettre en avant le silence aujourd’hui. C’est bien lui qui hante les paroles de Teruel (du nom de la bourgade aragonaise qui fut le théâtre de violents affrontements entre Républicains et Nationalistes durant l’hiver 1938 et qui, malheureusement, consacra la victoire de ces derniers) ouvrant le disque : « C’est en observant quelqu’un écouter le silence/Que l’on sait vraiment à qui on a affaire ». Et cela est asséné avec suffisamment de conviction pour que l’on se prête au jeu tout du long. On scrute donc les silences de Pylone et on s’arrête sur ce qu’il dit – en français, en anglais, peu importe – de manière à pouvoir cerner tout ce qui fait le sel de ce nouvel album. Sa singularité découle tout à la fois de sa musique au cordeau et de ses mots choisis, parfois empruntés à quelques écrivains (Bukowski entre autres) et surtout de la façon qu’à le groupe de se jeter tout entier dans ses morceaux. L’engagement tout à la fois physique et cérébral suinte littéralement du beau vinyle couleur rouge sang.
Dans ces conditions, les morceaux se valent et on envisage le disque dans sa globalité. Toutefois, si tous marquent par leur intensité renfrognée, certains présentent une structure encore plus mouvante qu’à l’habitude et constituent une sorte d’acmé : le relief fracturé et la scansion écorchée de Masses s’insinuent très insidieusement dans la boîte crânienne, les beaucoup plus resserrés Alien ou À Bon Entendeur font vibrer les os par leur côté plombé quand Lézarde – en convoquant l’Arturo Bandini de Fante – fait naître des images confuses derrière les yeux. Ce qui est fort avec ce disque – et par extension avec Pylone – c’est qu’il ne se livre pas immédiatement. De prime abord, on se dit que tout ça est très monolithique et que Silence manque de nuance avant de se rendre compte que l’on s’est complètement trompé. La captation de Benoît Courribet, une fois n’est pas coutume, confère un son très naturel et restitue parfaitement la belle variété de l’ensemble. On finit par identifier les contours très irréguliers, les mornes plaines deviennent vallonnées et alors qu’on les croyait trop bien rangés, les morceaux se révèlent au contraire infiniment vivants. Du coup, c’est vraiment un drôle de truc, Silence. Très personnel, singulier aussi dans sa façon de beaucoup s’exprimer en français, soulignant par là même l’importance de ses textes qui font jeu égal avec la musique qui les cerne, tordant sa noise dans tous le sens, la désarticulant tout en donnant l’impression que chaque mouvement est naturel, le disque s’éloigne du précédent ou du très chouette split partagé avec Magneto tout en suivant incontestablement les mêmes traces. Pylone grandit, s’affine, se rapproche petit à petit de lui-même. Massif mais aéré et surtout, contondant, comme le suggère si bien sa pochette dont on ne sait pas vraiment si le segment rouge est une lame ensanglantée. En tout cas, avec Pylone, le Silence devient assourdissant et crie pour qu’on l’écoute.