Mais bien sûr, on se trompe. No Drum No Moog est faussement positif. Sa musique peut même se montrer sacrément triste ou menaçante. Et derrière l’habillage léger et iconoclaste, ces In The Moog For Love, Le Tour De France Cycliste et autres clins d’œil potaches, ces sonorités héritées de Cosmos 1999 ou tout autre document télévisuel qui affublaient le futur d’un côté dramatiquement daté (un comble), point en réalité une sacrée densité. Sans pour autant que Documents Synthétiques n’en devienne indigeste. Des nappes sombres ici, une dentelle mélancolique là, une batterie véloce ailleurs, beaucoup d’éléments viennent contrecarrer la personnalité fantasque du moog et on surprend ce dernier le plus souvent les larmes aux yeux, à fumer clopes sur clopes, le moral dans les chaussettes. Plus proche de TransAm que des Rentals, parfois les deux pieds dans un marécage kraut-free-rock qui n’est pas sans rappeler Salaryman ou Add N to (X), No Drum No Moog élabore des pièces touchantes montrant paradoxalement une grande variété étant donné le paradigme que s’impose le trio. Rien de pire qu’une formule pour tomber dedans mais pas de ça ici. Tantôt introspectif, tantôt expansif, Documents Synthétiques multiplie les approches tout en restant en permanence cohérent : on sent bien le fantôme dans la machine. Et s’il arrive parfois qu’il en fasse trop, il ne tombe jamais dans les travers de la muzak ou du papier peint, aussi joli soit-il. Beaucoup trop d’accidents et d’entropie là-dedans pour se contenter de n’être que tiède. Ainsi, pour un Off In Tambov ou un In The Moog For Love un poil trop évidents, Hanami, Omnia Vincit Amor ou encore Le Tour De France Cycliste (hommage à peine voilé à qui-vous-savez) viennent de suite rétablir l’équilibre. Pour une dose de joliesse, la même de poil à gratter, pour une autre d’évidence, une nouvelle d’abstraction sans qu’elles ne s’annulent jamais. Dès lors, les bruits incongrus (on entend vraiment chanter le flipper sur Centaur), les samples (Dali expliquant les vertus du tour de France en ouverture du morceau du même nom, la voix synthétique qui introduit le disque) et tous les éléments qui viennent aérer la musique de No Drum No Moog mettent en exergue ceux qui l’assombrissent (les nappes, la répétition, les mélodies exaltées) et réciproquement.
Ajoutons à cela un sens de l’urgence et une belle utilisation de la tension et l’on se retrouve avec un disque en permanence accaparant, y compris lors des rares passages qui convainquent un peu moins. Un maelstrom qui emporte tout, supérieur à Monomur, leur premier essai de 2011 dont on retrouve d’ailleurs deux remixes (signés respectivement Mr. Bios et Artaban) – exercice dont on sait à quel point il peut se montrer casse-gueule – mais qui, loin de nuire au propos, mettent en avant la qualité d’écriture qui inonde chaque morceau. Parfaitement intégrés à la tonalité générale, ils n’aplanissent ni le moog ni la drum et n’altèrent aucunement le climax. En outre, ils permettent de mesurer le bond en avant réalisé par le groupe. Moins de maths dans l’ensemble, moins d’éparpillement et plus de personnalité.
Désormais lui-même, No Drum No Moog.
Parfois drôle, souvent hypnotique, tout le temps exalté, il est incontestable que l’on tient en Documents Synthétiques un album en tout point réussi.