Cette fois, on va parler post-rock et s’intéresser à un album qui s’est immiscé sans bruit dans ma boite crânienne alors que je ne lui avais rien demandé. Je ne sais trop comment, il a distillé sa musique comme un poison lent et a fait son trou discrètement. Pourtant, objectivement, rien de bien nouveau. Deux guitares, une basse et une batterie auxquelles s’agrafe un violon alto. Une musique essentiellement instrumentale qui se pare d’une voix qui n’est jamais la sienne. Personne ne tient le micro chez Have The Moskovik, on préfère laisser aux samples le soin de dévoiler autour de quoi les pièces s’articulent. Et on n’a pas peur de s’appuyer sur des extraits, des textes, des discours saisissants au risque d’affadir ce qui les entoure. On croise ainsi le fameux «Vous m’avez fait honte» de Robert Badinter balancé lors de la commémoration du cinquantième anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, on entend également Patty Smith ou Marguerite Duras, on reconnaît les vers de Paul Verlaine et on se dit que tout ça est tout de même un brin casse-gueule. Prenons le cas épineux des poèmes mis en musique, trop souvent décevants. Sans doute parce que les mots élaborent leur propre son et se passent aisément de ceux d’un quelconque instrument. En outre, on sait bien que les textes sont polysémiques et que leur signification profonde appartient aussi bien à la personne qui les fait naître (et encore, rien n’est moins sûr) qu’à celle qui les reçoit. La musique impose une compréhension, la sienne, un peu comme une explication de texte dont on peut se passer, merci ; nul besoin que quiconque ne vienne mettre son grain de sel là-dedans.
Mais avec Have The Moskovik, pourtant, ça fonctionne et les sept minutes et quelque de L’Inflexion des Voix Chères subliment la mélancolie de «Mon Rêve Familier» de Verlaine. Bien loin de les affadir, la musique fait jeu égal avec les mots et le morceau, dans toute sa simplicité, dans tout son équilibre, fait mouche durablement. Les arabesques en clair-obscur, les coups de griffe assénés au bon moment, les interventions toujours déterminantes de l’alto qui apporte une épaisseur poétique aux constructions rigoristes de Papier Vinyle donnent l’impression que ces cinq-là se laissent aller où leurs doigts veulent bien les porter. Ils illustrent, n’assènent jamais et c’est bien pour cela que «ça fonctionne». Ils réagissent comme un seul aux mots qu’ils enveloppent et pour arriver à un tel résultat, il faut se connaître par cœur. Cet album n’est pas leur premier et ils ont déjà développé leur usage des bandes-son sur Une Simple Théorie Des Glaces En Terrasse (2011) et Là Où Les Idées Vertes Incolores Dorment Furieusement (2013), on ne s’étonne donc pas de les voir aussi bien maîtriser la construction de leurs estampes tout autant graciles que rugueuses. Avec eux, on redécouvre ces mots (déjà entendus ou non), leur force, on observe comment ils leur réagissent et on compare le tout à nos réactions propres. Have The Moskovik n’est ainsi jamais dans l’herméneutique et c’est bien ce qui fait toute la différence. Les émotions comptent bien plus que la démonstration inutile (puisque les textes parlent d’eux-mêmes). C’est une mise à nu, délicate, très personnelle qui les éloigne drastiquement des autoroutes stéréotypées et fortement encombrées. Depuis Il Restera La Mer jusqu’à De Mémoire D’Homme, on est happé, transporté et on vibre à l’unisson d’une musique infiniment sensible.
Belle œuvre.