Fidèle à l’idiosyncrasie et à la folie douce de feu son duo The Books, Paul de Jong livre un second opus chez Temporary Residence où le surréalisme le dispute au lyrisme, sur fond cette fois de colère et de confusion face à une série de tragédies et de revirements que le génial bidouilleur new-yorkais d’origine néerlandaise traduit en musique avec le sens de l’absurde qu’on lui connaît, allant jusqu’à imiter une voix éraillée de crooner americana pour déclamer sa solitude et sa misère sur un Johnny No Cash au titre explicite.
A l’image de son morceau-titre où une voix féminine réinvente sur fond de comptine glitch-folk les paroles de Mary Had a Little Lamb entrecoupées d’insanités, ou de l’onirisme en flux tendu de The Jar Bell émaillé de ce qui semble être un chant de manifestation, Paul de Jong habille sa frustration du même mélange de candeur, d’élans de ferveur et de mélancolie qui irriguait son premier opus post-The Books, IF, il y a trois ans. C’est d’ailleurs dans la même alternance de collages dada et drogués (l’étrange It’s Only About Sex qui entrechoque féérie synthétique, cordes morriconiennes et comédie stand-up), de cavalcades électro-acoustiques tout en percus tribales et en arpèges déstructurés (le convulsif et complètement dingo Embowelment en intro, Doomed et ses allures de Dan Deacon atteint de la Tourette) et de pistes ambient plus sobres et intrigantes (Pipe Dream, ou le séraphique Wavehoven avec sa superbe ascension drone/vibraphone) qu’avance le disque, sans cesse surprenant, de mantras philosophico-toqués (Doings/Dimples et son questionnement existentiel – choisit-on vraiment nos actions ? – sur fond de psychédélisme pastel et d’harmonies chorales) en intermèdes ethno-punk-machin-chose complètement chtarbés (The Wind , Goor).
« Fuck ! Fuck ! There is a girl in the bed ! You’re disgusting ! Mad, sad or glad ! Kill, steal or lie ! Food, oxygen, blood ! And you can shove this whole place right up your ass ! You son of a bitch ! Fuck you ! Cook a small child ! Torture a horse ! Cut off your fingers ! Marry a dog ! Fuck you ! » scande encore et encore, entre autres joyeusetés, une jeune femme en pleine crise d’hystérie d’avoir trouvé son homme en train de la tromper avec son ex sur Breaking Up, tandis que la musique se fait délicate et feutrée, Paul de Jong retrouvant son violoncelle de prédilection pour transformer cette litanie de colère et d’obscénité en élégie pour les gens trahis, esseulés, en souffrance. Même à l’heure de la catharsis la plus irrépressible, l’Américain voit ainsi la musique comme un terrain d’expérimentation ouvert à toutes les possibilités et tous les paradoxes, mais surtout comme une aire de jeu, un échappatoire bariolé qui happe la noirceur du quotidien pour la plier à ses quatre volontés : une reprise de contrôle, en somme, face à la vie qui nous laisse souvent spectateur de nos propres choix.