Une basse, une batterie, quelques claviers discrets et des voix qui s’entremêlent. Des armes minimales qui dessinent pourtant des morceaux très habités. Très froids aussi. Et qui filent vite. Parce qu’ils ne sont que six et qu’ils sont invariablement coincés entre un peu moins et un peu plus de trois minutes. Le premier album d’AVALE est très fidèle à son titre, Christelle Cavaleri et Anne-Cécile/Mrs Verdun s’y montrent en permanence Incisives. Même lorsqu’elles lèvent (légèrement) le pied (Dead End ou No Way), la basse moribonde chevillée aux fûts martelés n’en déchirent pas moins l’espace alentour par leur urgence et leur jusqu’au-boutisme barbelés. Rien de fondamentalement violent pourtant mais des angles en veux-tu en voilà et cette singulière capacité à tisser sa toile grouillante d’arachnides hirsutes au beau milieu de la boite crânienne en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire. La post-punk aux accointances cold d’AVALE ne fait regretter que sa très courte durée. Toutefois, son temps limité en décuple incontestablement l’urgence et protège le duo du moindre risque d’affadissement. Déclinant les mêmes nuances anthracites, renfermant des mots qui parlent beaucoup de combat, les morceaux sont tous taillés dans le même moule – les lignes de basses glaciales, le tchack-poum métronomique qui en devient hypnotique, les cris – sans jamais se ressembler complètement. Les Messines injectent nombre d’idées dans ce qu’elles font et ce qu’elles font, elles le font fondamentalement avec ce qu’elles sont. Pas de pose là-derrière, juste ce qui sort de ces doigts quand cette basse rejoint l’empan de cette batterie. C’est bien pour cela que le vernis minimaliste se révèle au final si prenant et qu’avec trois fois rien, ces deux-là provoquent beaucoup.
Du coup, on ne s’étonne pas de les avoir vues partager une même cassette avec La Chasse, autre duo féminin attiré par ce que les ’80s avaient de plus poisseux même si le rendu n’est pas du tout le même. Chez AVALE, la basse est sans doute un poil plus contrite mais certainement pas moins aliénée et les deux formations ont en commun les éclats glauques, pesants et presque tribaux qui parcourent leur très singulière totentanz. Tout à la fois sec et caoutchouteux, rectiligne et tracassé, on bouge beaucoup à l’écoute d’Incisives. D’autant plus qu’AVALE développe des mélodies qui s’agrippent directement aux neurones et rehaussent l’écorché : Les Deux Loups et ses claviers tout aussi discrets que décisifs ou encore les deux chants qui se rejoignent pour entonner ces «Please wake me up, can’t wait for it / Please wake me up, I’m ready for it» qui électrisaient déjà sans ça Razor Tongue (et l’on s’en tiendra là par peur de citer tous les titres). En outre, si l’on écoute leur première cassette éponyme de 2015 (un format qu’AVALE semble décidément beaucoup apprécier), on voit bien comment tout était déjà bien en place – la basse Curesque à même de décorner les gros bœufs de tout poil, la batterie sèche comme un coup de trique, les voix bien en avant (et leur accent franglais prononcé qui participe au charme de la formation) – sans pour autant avoir la finesse d’Incisives. Le duo a réussi à canaliser sa colère au bénéfice d’une palette d’émotions plus riche et plus contrastée parfaitement captée par Julien Rosenberger et masterisée par Julien Louvet. La cold wave d’AVALE s’insinue lentement, comme un poison, et finit par envahir le corps tout entier. Enfin, fidèle au credo de Specific Recordings, Incisives couche ses blocs de glace couvant un vrai feu intérieur sur un très beau vinyle monoface gravé au laser, le disque étant ainsi une réussite dans toutes ses dimensions.
Les deux amazones symétriques portant un heaume (très chouette artwork de Jennie Zakrzewski) résument parfaitement la teneur de cet album tout nu derrière sa carapace, tout à la fois sensible et conquérant.