Un saxophone alto et une clarinette basse (Logan Hone), une guitare (Gregory Uhlmann), une batterie (Jesse Quebbeman-Turley) mais aussi un alto (Lauren Baba) s’acoquinent au sein de Similar Fashion et dessinent une musique ni «sombre» ni «dérangeante» mais pas moins étrange où le jazz se mêle à l’avant-rock et se teinte de quelques poussières de classique afin de mettre sur pied un genre de math-jazz multicolore très addictif. Un brin surréalistes et virevoltants, les morceaux se suivent sans se ressembler vraiment et mettent en avant leur simplicité alors qu’ils sont battis sur un parterre pour le moins complexe. De la même façon, l’ensemble sonne très léger alors qu’il renferme une vraie densité. Bref, avec Similar Fashion, il ne faut jamais s’arrêter aux premières impressions et sous ses dehors inoffensifs et rigolos, Portrait Of se révèle in fine joliment retors. Il faut aller avoir plus loin que sa pochette loufoque, plus loin que les paroles et images absurdes convoquées («We watched the car sink into the puddle», «Research and dancing/The world is a twin», ce genre) pour saisir pleinement ce qu’il se joue là-derrière et pouvoir détailler l’architecture de chaque titre. L’alto est une pièce maîtresse, agrafant ensemble le jeu iconoclaste de la batterie, la vocabulaire plutôt raide et bégayant de la guitare et la course fofolle des cuivres. Ses interventions sont toujours déterminantes et appose un vernis élégant sur une ossature pour le moins disloquée qui, souvent, ne demande qu’à s’emballer. On ne s’étonne donc pas de voir John Dieterich crédité au mix et au mastering d’un album qui fait effectivement beaucoup penser à Deerhoof dans sa façon d’amalgamer profondeur et excentricité et de détourner les stéréotypes pour ne ressembler qu’à lui-même et inventer quelque chose de neuf.
Le ton est donné dès le Myra’s Fortune d’ouverture, très court mais aussi très mélangé, négociant des incartades bluegrass inattendues au beau milieu d’un relief hautement fracturé et brûlant alors que le suivant, My Heart & Lungs s’aplatit complètement et ménage une enclave tout à coup sereine à base de guitares scintillantes et de pizzicati légers. Cette dynamique en dents de scie ébauchée en à peine deux titres sera ensuite maintenue sur la longueur de Portait Of. S’y succèderont des vignettes qui accompagneraient idéalement un Tex Avery très azimuté (We Watched The Car Sink Into The Puddle), des enclaves neurasthéniques radicales (Portait Of James Turrel), des explosions bruyantes et très déroutantes (les quarante-deux secondes de Melonface), des morceaux mouvants et étranges qui mélangent tout cela et bien plus encore (One Moment Here ou encore Get Away). En outre, Similar Fashion se tient systématiquement à égale distance du bruit et de la mélodie, ce qui accentue fortement le côté iconoclaste susmentionné et donc, très vite, on ne sait plus très bien sur quel pied danser même si l’on danse tout de même, la farandole très excentrique de Portrait Of emportant tout avec elle. Ce qu’on aime beaucoup, c’est que l’ensemble a beau se montrer très technique (tout y est très maîtrisé, il suffit pour s’en convaincre de détailler les lignes du saxophone par exemple), ce n’est jamais au détriment de la musique : point de démonstration ou de vaine surenchère ici mais un souffle frais et vital que le groupe sait maintenir tout du long et qui agrippe complètement. Portrait Of a beau multiplier les trajectoires, les changements d’épaisseur et de braquet, butiner à droite à gauche – jazz, math, prog, punk, art-rock, drone et j’en passe – et montrer beaucoup de dérision, il ne se perd jamais, pas plus qu’il ne nous perd nous.
Voilà un disque qui accompagne idéalement les frimas déclinants et le soleil naissant, coincé pile-poil entre ombre et lumière, rigueur et gaudriole, flegme et chaleur. Azimuté et accaparant, nul doute que Portait Of et sa pochette multicolore traînent un bout de temps encore à proximité de la platine puisqu’il va de soi qu’on n’en a pas encore fait le tour et qu’on n’est pas du tout sûr de pouvoir le faire.