Personnellement, je ne sais pas grand chose de Tombouctou, voire rien. Enfin, si, je sais tout de même qu’il s’agit d’un trio et que derrière le micro, se tient une demoiselle. Elle râle, elle emberlificote, elle crie. Que l’épicentre de leur vacarme fracturée se situe quelque part aux alentours de Lyon. Il me semble avoir lu ici ou là qu’un Torticoli (mais aussi Cougar Discipline entre autres) leur prête sa guitare. À l’écoute, on saisit tout de suite qu’il n’y a pas de basse mais on entend bien la batterie. Ceiling Coast est le premier témoignage du groupe, il se balade sur les Internets depuis le mois d’octobre semble-t-il mais je n’y vais jamais jeté l’oreille avant ces derniers jours (à l’occasion de sa sortie en vinyle). Depuis, je l’écoute plus que souvent. Pourquoi ? Difficile à dire. Ce sont peut-être les cris de Pythie qui déchirent les morceaux. Des morceaux, déjà, sans eux, bien disloqués. L’invective et les feulements habités habitent la moindre parcelle de musique et lui confèrent beaucoup de félinité. Tombouctou à les crocs, Tombouctou griffe et cisaille, sa voix y est pour beaucoup. Elle n’est bien sûr pas la seule. Les lignes brisées de la guitare omniprésente tapissent l’ossature d’angles aigus et hérissent encore plus l’ensemble. Très inventive mais aussi très fracturée, son apex dessine une trajectoire en dents de scie qui ajoute beaucoup au côté contondant de l’ensemble. Tombouctou écorche, Tombouctou lacère, sa guitare n’y est pas étrangère. Mais c’est sans compter sur la batterie. Complètement sèche, déployant son lot d’estafilades incisives, elle n’occupe pas l’espace, elle le troue. Pas de basse pour arrondir les angles, tout le reste pour les rendre au contraire plus saillants. Tombouctou, gros bloc de griffes, n’a de rond que son nom.
Au programme, noise-rock mais pas que, poussières de psychédélisme, blues singulier et une urgence incroyable. De prime abord, Ceiling Coast réveille quelques connexions qui relieraient paresseusement les early-Heliogabale à Choochooshoeshoot en passant par Berline0.33 et Torticoli mais une écoute attentive montre bien que pas vraiment. Pour tout dire, on se fiche un peu de savoir à quoi ça renvoie pour se concentrer sur ce que l’on a. À savoir six titres qui n’hésitent pas à multiplier les minutes (jusqu’à neuf pour le bien nommé Nail) pour aller jusqu’au bout du bout de leurs idées. Ça commence fort avec Headed Body où, après une entame conquérante et bien carrée, la guitare s’en va explorer le large spectre des aigus en balançant nombre de zébrures acides dans l’espace intersidéral, la voix se charge alors d’échos et oublie l’invective tout en gardant sa morgue intacte et puis tout ça retombe à côté de ses pieds en adoptant une démarche complètement divagante. Plus loin, Nail se montre encore plus métamorphe, long bloc mouvant arc-bouté sur la répétition de motifs d’abord incisifs puis de plus en plus patraques sans qu’on ne sente venir la moindre transition. C’est plusieurs morceaux dans le morceau mais c’est aussi bizarrement homogène et toujours urgent. Wingbeat qui vient juste après laisse surgir sa tristesse entre les gouttes de blues. Il n’en reste pas moins vindicatif mais on le voit, rien ici n’est monocorde ni monotone. Le trio ne capitalise pas du tout sur une seule formule et emprunte nombre de chemins sans jamais rompre sa dynamique. Quand ce n’est pas la voix qui mène le combat, c’est la guitare et quand ce n’est plus ces deux-là, on trouve encore la batterie. Et puis derrière le bruit, on sent affleurer des bribes de mélodies sans qu’on n’arrive jamais complètement à mettre le doigt dessus. Pedalo est d’ailleurs en cela assez représentatif : les chœurs et les notes égrainées dessinent bien quelque chose mais quand on pense avoir cerné le motif, il se dérobe instantanément.
Tombouctou est donc répétitif sans l’être le moins du monde, Tombouctou déverse des tombereaux d’urgence d’où suintent tristesse et colère mais sa musique provoque autre chose une fois calée dans l’encéphale. Tombouctou déroule son noise-rock alors que l’on se demande en permanence s’il ne s’agirait pas in fine d’autre chose. Il va sur l’air de n’être pas, avec ses faux-semblants et se révèle, derrière la simplicité de façade, bien plus retors qu’il n’y paraît. La musique du trio dépasse simplement ses morceaux et se montre très dense, parfaitement équilibrée et très maîtrisée. Un peu comme son emballage faussement naïf (Gaëlle Loth) : devant les couleurs douces, il s’agit bien d’un sombre incendie.
Pour un premier jet, on ne peut que s’incliner. Et attendre impatiemment la suite.
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