Quelques petits bip en ouverture, la boîte à rythme martiale et, déjà, cette guitare si particulière qui ne joue pas vraiment des notes mais balance plutôt ses lames effilées dans la masse sombre et bruitiste qui dégueule du synthétiseur. Ce n’est déjà pas très guilleret, ça sent la haine, la résignation, la détestation et l’envie d’en découdre avant d’en finir. Mais ce n’est rien sans les textes. Qui expriment la même chose mais avec une tessiture si glauque et délavée que ça précipite l’ensemble au fond du trou. Vraiment tout au fond. Et avec des mots qui disent bien le chaos, des mots inscrits tout entier dans la dureté d’une époque moribonde et qui n’en finit pas de se rétracter complètement en elle-même pour y traquer le nœud gordien de sa faute. Une époque de merde. Une musique qui la cerne bien. «J’en ai fini avec toi / Excitation maximum / plaisir minimum», comme un mantra – une profession de foi presque – perdu au beau milieu des flots glauques du bien nommé Coït Yourself, première vignette cramée qui introduit parfaitement tout le reste. Ce post-punk industriel et froid porte en lui des réminiscences de La Race, c’est beaucoup moins violent mais ça n’en reste pas moins malaisé et sans espoir aucun. Pas étonnant puisque le duo se partage entre Pavel/Klaus Legal et Dominou, ex-Suce-Pendus – et que ces deux-là s’inscrivent dans un continuum. Leur inspiration, ce qu’ils expriment, ce qui sort de leurs doigts vient exactement du même endroit, la boule noire que l’on a au creux du ventre, qui vibre et qui habille le cortex d’angles gris et d’épines noires. Un truc qu’ils martèlent dans tous leurs projets et dont ils ne s’éloignent jamais beaucoup. En écoutant Tu Viendras Si Tu Existes, on est donc en terrain connu mais comme à chaque fois, on reste stupéfait devant le côté jusqu’au-boutiste et viscéral de Judas Donneger.
Comme à son habitude, le duo partage sa voix entre cris vrillés et scansion plus lente, articulant les mots avec plus de soin ou de précaution, faisant l’effet de parler du fond de l’ombre où réside tout ce que l’on ne veut pas entendre – du petit renoncement à la belle grosse idée noire. Il faut faire un effort pour distinguer le texte mais c’est assez facile de l’extirper de la cold wave martiale qui le porte. Du coup, Judas Donneger pousse en permanence l’auditeur à faire des choix : on reste calé sur la musique ou sur les mots. Ou sur les deux mais c’est moins aisé. Pourtant, c’est bien comme ça que Tu Viendras Si Tu Existes se montre le plus impitoyable : «Sortir / De chez toi / Dans la rue / Déchiré(e) / Crevé(e) / La bouche / Gavée / Les reins / Explosés» par exemple a bien plus d’impact avec les guitares vrillées, la boîte à rythmes patraque et les nappes froissées qui accompagnent la tirade que sans. En écoutant l’un sans l’autre, il manque quelque chose. Et puis, témoignant d’un soin maladif, le duo choisit aussi bien ses mots que ses sons et vise en permanence le malsain. Inutile de dire que c’est très réussi. Du suicide gérontophile narré par La Compote au sexe numérique et à l’onanisme prôné par Coït Yourself, de l’attente glauque d’Une Seconde De Tonnerre aux treize minutes d’une virée nocturne qui tourne mal sur Le Sourire, tout sonne sombre, désespéré et dégueulasse. On reste pourtant hypnotisé par le bout de plastique noir car le point de vue développé là-dedans est tout aussi viscéral que salutaire. On se demande toujours quelle part d’ironie inonde les sillons mais on sent bien, au fond, que tout cela est sincère.
Parfaitement emballé qui plus est sous une magnifique pochette signée Jérôme Minard, figurant sans doute le fond d’une décharge à ciel ouvert, cet objet à haute teneur anxiogène devrait donc rester longtemps à proximité de la platine. Ses éclats noirs, son post-punk au cordeau et ses mots crus ménageant une enclave autonome éloignant les photons, un rai de lumière noire autour desquels on ne cesse de tourner.
Comme des insectes.
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