Chaos Echoes – Mouvement

Le vortex de Tone Of Things To Come avait laissé la place au visage décharné de Transient tout en gardant le même paradigme chromatique : beaucoup de gris, encore plus de noir. Aujourd’hui, place à la couleur, place à Mouvement : or et rouge sang. Pourtant, fondamentalement, rien ne change. L’amalgame death/doom aux fortes accointances zeuhl de Chaos Echoes se montre toujours aussi transcendantal et psychédélique. En écoutant Mouvement, on a une nouvelle fois l’impression que le cortex se dilue dans la boite crânienne puis s’écoule dans le réseau dense des capillaires pour s’évaporer lentement par les pores de l’épiderme et rejoindre le cosmos. Comme ses deux aînés, il participe activement à l’ouverture du troisième œil et, piégé dans ses méandres, on expérimente un voyage singulier, à la fois à l’intérieur de notre corps mais aussi très loin de lui. Toutefois, comme le montre sa pochette écarlate, c’est vrai qu’il y a un je-ne-sais-quoi de légèrement plus immédiat dans le nouveau disque des Lillois. Un je-ne-sais-quoi qui se manifeste dès le titre d’ouverture, le bien nommé Embodied By Perfidious Curls In The Innervated Flux qui s’empare immédiatement des synapses pour perturber le système nerveux. Sans prendre de gants, les râles de goules hirsutes s’acoquinent aux crocs des instruments et c’est parti pour presque cinq minutes de tabassage mouvementé. À chaque fois que l’on pense en avoir saisi l’ossature, le morceau se dérobe. La trajectoire est pourtant rectiligne mais le flux se divise et se subdivise jusqu’à déborder de partout. Dans l’arrière plan, une vague inquiète grossit et grossit encore jusqu’à ce que tout s’arrête subitement. Voilà pour l’immédiateté. D’autant plus que les Interzone qui ménageaient quelques respirations au cœur de Transient ont disparu. Ici, pas d’enclaves pour analyser, le mouvement est permanent et ne s’arrête jamais.

Il est également métamorphe. As An Embraceable Magma Leading The Subliminal n’a ainsi strictement rien à voir avec l’entame. On allait droit devant, on se retrouve maintenant bien haut, à détailler un relief piégeux aux arabesques vaporeuses où seule la basse garde son coffre. Partout ailleurs, ça se liquéfie, ça se dilue, le tempo ralentit et les riffs imitent l’onde, épousent les déclinaisons et s’écoulent. Mouvement était massif, il ne l’est plus. Du pur Chaos Echoes ça, le groupe a toujours excellé dans les changements inopinés de densité qui lui permettent de varier son death tout en gardant ses contours intacts. On le voit donc, au-delà de la légère immédiateté susmentionnée, le groupe reste donc fondamentalement ce qu’il est. Chaos Echoes est une machine de guerre qui se fout complètement des combats. La maîtrise technique n’est jamais utilisée à des fins purement démonstratives mais plutôt au service de ce que l’on a au fond du ventre et dans la tête. Ce qui rend leur musique plus que jamais cérébrale. Elle épouse les méandres de la pensée ou rend cette dernière palpable. Ce qui ne veut absolument pas dire que les émotions sont reléguées à l’arrière-plan – on ressent beaucoup à l’écoute de Mouvement – mais on vraiment l’impression d’entendre le langage intérieur de cette hydre à trois têtes : un morceau chasse l’autre comme les idées se chassent les unes les autres, perpétuellement, dans un mouvement aussi résolu qu’accidenté. C’est bien ça qui rend la musique de Chaos Echoes fascinante. On voit bien que le trio tente de mettre en mots ce qu’il joue quand il le joue – les titres donnés aux morceaux n’ont jamais été aussi longs et explicites – mais il y arrive partiellement puisque sa musique traduit complètement cet impalpable, par définition indescriptible. Écouter Chaos Echoes, c’est l’écouter penser, ce qui rend sa musique paradoxalement très instinctive. En allant là où vont ses idées, ses concepts, ses croyances, le trio ne s’interrompt jamais pour les laisser l’emmener là où ils veulent aller, d’où le Mouvement du titre.

On passe en un clin d’œil d’un morceau hirsute à quelque chose de plus délié, d’un truc massif et féroce à une pièce beaucoup plus éthérée et bien souvent sans transition, ce qui est assez nouveau. Peu de points communs entre, par exemple, Through Kaleidoscopic Haze Of Unexpected Extents et Shine On, Obsidian ! Ego ! Ego ! Echo Back To The Yearning Of The Self ! qui le succède, le psychédélisme solaire de l’un s’opposant presque au carillon morbide de l’autre, sans avoir jamais l’impression d’écouter autre chose que du Chaos Echoes. Le groupe creuse ainsi un sillon qu’il est bien le seul à creuser et si l’on relève parfois quelques accents familiers en provenance des ’90s ou déjà repérés chez Portal voire Oranssi Pazuzu, ils sont à tel point accoquinés aux fortes velléités exploratoires et expérimentales du trio qu’ils s’évaporent aussi vite qu’ils sont apparus. Dernière chose, Mouvement est aussi son disque le plus muet – on dénombre bien quelques râles mais tellement noyés dans le mix qu’on les devine bien plus qu’on les entend – qui en accentue le côté continu puisqu’on sait bien que mettre en mots ses pensées, c’est aussi en interrompre le flux.

Bref, ne ressemblant à personne sinon à lui-même, variant légèrement sa mixture, enlevant ici pour accentuer là, Chaos Echoes ajoute une nouvelle réussite à une discographie qui, jusqu’ici, n’a connu que ça.

Impressionnant.

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